Le thym : une espèce bioindicatrice des changements climatiques

John THOMPSON (CNRS – CEFE), Perrine GAUTHIER (CNRS – CEFE)

En région méditerranéenne, on observe une multitude de modifications de la biodiversité végétale liées aux changements climatiques (Thompson, 2020). Cependant, très peu d’études portent sur la réponse évolutive des espèces confrontées à ces bouleversements. En effet, certaines ne pourraient-elles pas s’adapter au lieu de se déplacer ? Difficile à démontrer car l’adaptation est un processus long et souvent en décalage avec les changements environnementaux (Eterson et Shaw, 2011).

Une espèce emblématique des garrigues du Languedoc, le thym (Thymus vulgaris), fournit pourtant un bel exemple d’une telle adaptation en cours d’évolution. Le thym, comme beaucoup de plantes aromatiques méditerranéennes, présente une grande diversité de types chimiques (chémotypes). En plus des formes « phénoliques » classiques à thymol (la plus fréquemment cultivée) ou à carvacrol (caractéristique du « thym de Provence »), il existe des formes « non-phénoliques » à odeurs très différentes de citron (géraniol), de lavande (linalool) ou d’autres essences (alpha-terpenéol, cinéole, thuyanol). Ces différences proviennent de modifications génétiques des chaines de biosynthèse. Cette diversité génétique s’exprime, dans la nature, par une différenciation spatiale le long d’un gradient écologique très abrupt.

Au début des années 1970, une cartographie de la distribution des chémotypes a été réalisée dans 288 stations de thym autour du Pic Saint-Loup et du bassin de Saint-Martin-de-Londres (photo 2.1), au nord de Montpellier. A cette époque 70 % des populations exclusivement phénoliques étaient situées au-dessus de 225 m, dans les zones à hivers doux, sur sols rocailleux et secs. Au contraire, 88 % des populations exclusivement non phénoliques étaient localisées dans les zones à températures hivernales plus basses sur sols plus profonds en dessous de 200 m.

Sur ce secteur géographique, les différences de gels sont, en effet, liées à une inversion des températures entre le bassin et les crêtes. Nos études expérimentales menées en parallèle avec les études de distribution ont montré que les chémotypes phénoliques sont très sensibles aux forts gels de l’hiver mais très résistants à la sécheresse estivale, alors que les chémotypes non-phénoliques sont très résistants aux gels mais moins tolérants à la sécheresse estivale (Thompson et al., 2007 ; Amiot et al., 2005). Voici un bel exemple d’adaptation à des conditions microclimatiques très localisées.

Ce patron est toutefois en train de changer. Depuis la fin des années 1950, les températures annuelles minimales absolues sont moins extrêmes : aucun gel suffisamment intense pour exclure les chémotypes phénoliques du bassin n’a été enregistré depuis 30 ans (figure 2.4). En 2010, nous avons donc ré-échantillonné 36 des populations étudiées en 1973 : 12 populations « phénoliques », 12 « non-phénoliques » et 12 mixtes. Les résultats obtenus vont tous dans le même sens d’une augmentation des chémotypes phénoliques qui apparaissent dans les populations autrefois non-phénoliques et augmentent en fréquence dans les populations mixtes, dont certaines sont désormais exclusivement phénoliques (figure 2.5) (Thompson et al., 2013).

Avec le relâchement d’une pression de sélection associée aux gels hivernaux, la progression des formes phénoliques témoigne d’une réponse adaptative aux changements climatiques. La distribution de l’espèce n’a pas été modifiée, c’est l’organisation spatiale de son patrimoine génétique qui évolue. Ainsi le thym de nos garrigues s’érige en sentinelle des hivers de plus en plus doux. En perspective : une troisième étude pour mieux cerner la vitesse de l’évolution en cours.

Le bassin de Saint Martin-de- Londres (zone à chémotypes non-phénoliques) et les crêtes rocailleuses autour du Pic St-Loup (zone à chémotypes phénoliques). (Crédit photo : John Thompson)

Figure 2.4. Températures minimales annuelles de stations météorologiques dans le bassin de Saint-Martin-de- Londres en bleu (zone non-phénolique) et au nord de Montpellier en rouge (zone phénolique) avec en pointillés les moyennes pour les périodes étudiées dans les deux zones. (Source : données Météo-France.)

Figure 2.5. Composition chimique de populations de thym localisées sur six transects le long de gradients altitudinaux et écologiques près de Saint-Martin-de-Londres (a) au début des années 1970 avec, sur chaque transect, deux populations non-phénoliques (jaune), deux populations phénoliques (noir) et deux populations mixtes (jaune et noir) et (b) en 2010.
(Source : carte redessinée à partir de données et de la carte originelle dans Thompson et al., 2013.)