Diagnostic forestiers et mécanismes de résistance aux perturbations climatiques

Sylvie SABATIER (CIRAD – AMAP), Yves CARAGLIO (CIRAD – AMAP), Éric NICOLINI (CIRAD – AMAP), Christophe DRÉNOU (CNPF – IDF Toulouse)

DiagARCHI : du diagnostic architectural à l’outil embarqué

L’architecture végétale qui permet de décrire et comprendre la construction des végétaux, notamment les arbres, est aussi un formidable moyen d’appréhender la santé d’un individu par l’observation et la prise en compte de critères morphologiques et architecturaux. L’application scientifique DiagArchi est dédiée au diagnostic de l’état des arbres en forêt basé sur une démarche d’arbre de décision. Ce produit comprend des clés ARCHI de détermination développées en étroite collaboration avec l’IDF-CNPF (Drénou et al., 2011). Ces clés correspondent à une séquence de questions qui identifient un état de santé de l’arbre : sain, résilient, descente de cime, repli, stressé, dépérissement irréversible ou mort.

Cet outil embarqué peut (1) faciliter l’accès aux connaissances morphologiques pré-requises pour le diagnostic architectural, (2) donner les critères visuels facilement observables, (3) guider l’observateur dans sa démarche d’observation de l’arbre (niveaux et échelles d’observation dans l’arbre), (4) mémoriser l’historique des questions/ réponses de chaque utilisateur, (5) à plus long terme obtenir des scores au niveau du peuplement via l’association d’outils d’analyse des arbres de décisions, (6) une saisie des données directement sur le terrain et (7) harmoniser les notations entre observateurs. Le menu de l’appli DiagArchi comprend aujourd’hui 14 espèces d’arbres (7 feuillus et 7 résineux). Les utilisateurs sont divers : agents du département Santé Forêt, techniciens forestiers CNPF et ONF, chercheurs (INRAE, CIRAD), formateurs, arboristes consultants, parcs naturels, etc. (Drénou, 2012).

De la connaissance du fonctionnement de la plante aux critères de sélection d’espèces

Ces travaux sur la réactivité et le diagnostic des arbres nous ont amenés à étudier les mécanismes au niveau du fonctionnement du méristème et plus particulièrement les interactions entre le climat et la croissance (Drénou et al., 2013). L’étalement des feuilles et l’allongement des axes est le résultat visible de l’organogénèse, activité cellulaire de la partie apicale des axes (méristème) élaborant le nombre et la taille des feuilles ainsi que les éléments de tige. Ainsi chez le pin d’Alep la pluie automnale détermine la croissance de la pousse printanière à venir, et les conditions climatiques de l’année en cours nous permettent d’anticiper le nombre possible de reprise d’allongement. Chez le peuplier, le nombre de jeunes feuilles préformées à l’automne et présentes dans le bourgeon hivernal seront étalées au printemps suivant, si les conditions de pluie et de température sont favorables, la tige continuera de s’allonger et mettra en place de nouvelles feuilles non présentes dans le bourgeon hivernal, et cela se produira tant que les conditions restent favorables, certaines années jusqu’en été. Il est ainsi possible d’émettre des prédictions de la croissance à venir en fonction de scénarios climatiques.

Ces études permettent de définir des stratégies de croissance via différentes combinaisons de l’allongement et de l’organogénèse :

  • mettre en place au cours de l’allongement seulement le stock de feuilles préformées ou aller au-delà, réponse à court terme aux conditions ;
  • exprimer une ou plusieurs phases d’allongement dans une année, réponse à moyen terme aux conditions ;
  • désynchroniser les phases d’allongement selon les axes de l’individu.

Par exemple, en cas de conditions limitantes, plusieurs phases d’allongement sont exprimées sur le tronc et une seule sur les autres axes, minimisant la dépense d’énergie tout en conservant une compétitivité pour la hauteur (Drénou et Caraglio, 2019).

Dans la problématique actuelle de recherches d’espèces forestières, d’ornement ou fruitières, capables de résister ou s’acclimater aux modifications et accidents climatiques, ces stratégies de réponses aux conditions climatiques sont des critères à considérer pour définir des espèces candidates (figure 2.6).

Figure 2.6. Deux expressions de la croissance de deux espèces en fonction de deux scénarios climatiques, un favorable à la croissance (Conditions climatiques 1) et un stressant (Conditions climatiques 2). Une espèce (Sp1) capable de ne faire qu’un seul allongement printanier de feuilles préformées et une espèce (Sp2) capable de faire de la néoformation et d’exprimer plusieurs phases d’allongement dans l’année. En fond vert : surface globale des feuilles mise en place. (Source : Drénou et al., 2012)