Des menaces liées aux changements globaux toujours plus fortes

Bertrand SCHATZ (CNRS – CEFE)

Nous pouvons considérer les changements climatiques sous l’angle de trois composantes : 1) l’augmentation des températures (canicules estivales, périodes enneigées plus courtes et nombres de jours de gel plus faibles) ; 2) la réduction des précipitations annuelles ou saisonnières (augmentation des périodes et des intensités de sécheresse, baisse et irrégularité des débits des cours d’eau) et 3) l’augmentation des événements extrêmes (épisodes orages, tempêtes) marquée par une imprévisibilité croissante (voir chapitre-enjeu Climat régional). Plusieurs activités humaines sont pluriséculaires en Occitanie comme la présence de la viticulture sur le littoral, de cultures de céréales dans les plaines du Sud-Ouest et d’élevages dans les zones montagneuses. Après la seconde guerre mondiale, des changements radicaux ont marqué l’agriculture avec bien souvent 1) l’abandon progressif du pâturage qui a déclenché un embroussaillement puis localement un développement forestier et 2) l’arrivée progressive puis l’utilisation aujourd’hui massive des pesticides (surtout en viticulture et arboriculture, mais aussi en cultures céréalières) (voir focus sur les impacts liés aux pollutions). Ils ont respectivement conduit à une réduction des espèces de milieux ouverts (Sirami et al., 2010) mais aussi à une diminution forte des insectes et de tous les prédateurs insectivores (Sánchez-Bayo et Wyckhuys, 2019 ; Zattara et Aizen, 2021).

Actuellement, les événements extrêmes même ponctuels sont plus fréquents et intenses, donc avec des impacts forts sur la biodiversité comme les destructions de berges en cas d’inondation (l’Orb dans l’Hérault), de forêts et d’habitats naturels en cas de tempêtes (Portail Occitanie littoral, 2021) ou d’incendies (voir les incendies récents en Occitanie). D’autres effets de ces événements extrêmes sont moins connus comme l’infertilité croissante des grains de pollen au-delà de 40 °C, des mortalités de plantes surtout sur sols peu profonds, mais aussi d’insectes et d’animaux vertébrés en cas d’absence de zones de relative fraicheur. Plus tard, si la tendance se maintient ou s’aggrave, ces changements climatiques obligeront les espèces à changer leurs aires de distribution ou, pour celles qui restent sur place, à s’adapter aux nouvelles conditions environnementales. Dans ces conditions, changer d’aire de distribution signifie remonter vers le nord ou en altitude pour retrouver des conditions climatiques favorables (oiseaux, insectes, plantes, etc.).

Mais ce n’est pas toujours possible, comme par exemple l’ophrys d’Aymonin endémique des plateaux calcaires des Grands Causses qui ne pourra pas retrouver cette même nature de sol plus au nord. Pour les espèces qui remontent en altitude, la surface de leur zone de présence sera fortement réduite avec un risque fort d’isolement sur certaines montagnes qui s’accompagne d’une réduction de leurs échanges génétiques comme c’est le cas pour les trois lézards endémiques pyrénéens, et pour le papillon apollon qui disparait progressivement des massifs de faibles altitudes notamment dans le Massif central. Les suivis à long terme d’espèces sont cruciaux pour documenter l’impact des changements climatiques : par exemple le suivi depuis 30 ans dans le Parc national des Cévennes du lézard vivipare qui a avancé sa date de ponte (jusqu’à un mois), augmenté le nombre d’oeufs pondus et réduit la durée de sa survie adulte et pour qui une altitude de 1100 m est pour l’instant la limite au-dessus de laquelle les populations ont un bilan démographique positif.

La possibilité de réaction des espèces face à ces changements climatiques dépend directement de leur temps de génération. Ainsi, les plantes annuelles peuvent s’adapter rapidement aux contraintes climatiques, alors que les arbres (voir focus milieux forestiers) au temps de génération de plusieurs dizaines d’années sont beaucoup moins réactifs. De plus, les espèces inféodées aux milieux humides sont particulièrement ciblées par la réduction globale de la ressource en eau. De nombreuses espèces montrent ainsi des décalages phénologiques, comme par exemple des périodes de floraisons plus précoces pour les plantes, ou des périodes d’émergence d’insectes encore plus précoces et parfois plus courtes. Cela occasionne de nouvelles menaces concernant les interactions entre espèces comme par exemple la nécessité pour les mésanges d’avancer leur date de ponte pour se synchroniser à la période d’émergence des chenilles dont elles nourrissent leurs petits.

Les nombreuses espèces insectivores (oiseaux, chauves-souris, etc.) doivent s’adapter aux nouvelles périodes d’abondances de leurs proies. Il existe ainsi un phénomène global d’homogénéisation des espèces et des communautés d’espèces (IPBES, 2018 ; MedECC, 2020), avec une diminution progressive des espèces spécialisées pour certains habitats ou dans leurs interactions, ou ayant un cycle biologique complexe ou exigeant ; de leur côté, les espèces généralistes et flexibles dans leur alimentation ou leur préférence d’habitat sont favorisées. Les écosystèmes se simplifient et les espèces se banalisent.

L’abeille sauvage Megachile lagopoda, spécialisée sur les chardons à floraison estivale, vit à partir de 800 m d’altitude. Elle est menacée à la fois par la hausse de température et la destruction de sa ressource florale.
(Crédit photo : D. Genoud)