Post catastrophe, un temps de guérison des victimes au bénéfice des générations futures

Maryline CANNOU SPECHT (Université de Paris)

La transmission intergénérationnelle est un processus qui soutient la construction de la pensée d’un sujet. Ce processus se situe entre la construction singulière de la pensée propre d’un individu par lui-même et la co-construction de la pensée d’un individu dans son interaction avec d’autres. Elle est le processus par lequel la pensée est héritée et intégrée par un sujet à partir des modes de pensée des générations qui le précèdent. Si le parent maternant, la mère, le père, l’oncle ou la grandmère, selon les traditions de maternage, est l’origine première de la transmission intergénérationnelle, l’ensemble de la généalogie, en tant que famille formant un système, est porteur de transmission. Tout événement est ainsi vécu en lien avec la transmission des modes de pensée d’une génération à l’autre. La transmission intergénérationnelle concerne d’autant plus les faits exceptionnels tels les traumatismes qui marquent les trajectoires de vie d’une génération. Il y a les victimes d’une guerre mais aussi les enfants de la guerre (Séguin, 2007).

Parmi les catastrophes naturelles, les inondations survenues les 18 et 19 juin 2013 en Occitanie ont marqué un territoire et sa population en raison de la violence des événements menaçant et emportant des vies humaines, du caractère exceptionnel de leur intensité, ainsi qu’en raison des dommages causés à l’environnement, aux aménagements et aux infrastructures (REX global, DREAL Occitanie). Toute inondation blesse des territoires comme des populations dans leur chair comme dans leur âme. Leur avenir partagé en porte longtemps les cicatrices, masquées ou révélées, révérées au centre d’une citée ou maudites dans des territoires d’exclusion, métamorphosées ou laissées en l’état. Les cicatrices seront des tabous ou des mémoires, des monuments de centre-ville ou des restes qui s’oublient, des jardins réinventés ou des terrains vagues. Et dans le coeur des populations, elles porteront des noms, elles seront associées à des comportements de bravoure ou de honte, elles susciteront la fierté ou la crainte. Toutes ces formes de cicatrices composent un héritage et se transmettent de génération en génération.

Lorsqu’un désastre arrive, entre blessures et cicatrices, le temps de la guérison est pour une population entière comme pour une personne, un processus de reconstruction des facultés d’agir et de jouir de l’existence (Freud, 1904). C’est un temps précieux qui articule la reconstruction d’un contexte propice à une vie heureuse et des facultés de bonheur des populations. Et c’est ainsi que l’héritage d’une catastrophe est intégré par les jeunes générations comme des façons de vivre avec bonheur dans une réalité qui comporte des dangers et des peines. Elles s’appuieront alors, selon ce qui aura été retissé, sur les silences ou sur les souvenirs des victimes. Elles se forgeront d’oublis et d’ignorance parfois forcés ou de leçons transmises de l’histoire. Ces dernières s’ancreront de façon intangible comme des principes indiscutables ou ouvriront les portes de la résilience et de la créativité. Elles se nourriront d’honneur, de courage et de sens, elles se lesteront de honte et de culpabilité, s’envelopperont de peur ou encore apparaitront comme des épreuves, individuelles ou collectives. Dans ce tissage que le sujet porte par lui-même et par héritage, le temps de la guérison est autant celui des victimes que celui des générations futures, parce qu’il importe qu’un désastre ne devienne pas le stigmate d’une région (Goffman, 1963).