Changement climatique et maladies à transmission vectorielle

Gérard DUVALLET (UPV – CEFE)

Les habitants d’Occitanie et du sud de la France métropolitaine ont bien ressenti depuis 2004 l’arrivée puis l’extension du moustique-tigre (Aedes albopictus). Originaire d’Asie du Sud-Est, cette espèce a bénéficié de la mondialisation et de la rapidité des échanges commerciaux pour envahir le monde. Ce moustique-tigre est une nuisance en raison de sa piqûre. Il s’agit d’une espèce hématophage : les femelles se nourrissent de sang pour le développement de leurs oeufs. Cette espèce est également un vecteur potentiel de pathogènes. Les pathologies qui en découlent sont parfois nommées maladies émergentes, car elles n’étaient pas connues auparavant dans nos régions.

Les virus transmis par des arthropodes (insectes ou acariens) sont connus sous le nom d’arbovirus (arthropod borne virus en anglais). Il s’agit principalement des virus de la dengue, du chikungunya ou du Zika. En Occitanie, plusieurs cas de transmission locale de virus importés de régions tropicales ont été rapportés (par des voyageurs en provenance de ces régions). Quelques années auparavant d’autres moustiques locaux, du genre Culex, avaient transmis autour de la Camargue le virus West Nile, importé d’Afrique équatoriale par des oiseaux migrateurs. Ces pathogènes, passant des animaux à l’homme et réciproquement, sont à l’origine de maladies connues sous le terme de zoonoses.

Les arthropodes hématophages peuvent constituer ce que les entomologistes médicaux appellent des vecteurs, capables de s’infecter avec un pathogène (virus, bactérie, protozoaire ou helminthe) lors d’un repas de sang pris sur un vertébré et de le transmettre à un autre vertébré sensible lors d’un repas suivant. La maladie est ensuite la réaction du vertébré au pathogène transmis. Les vecteurs transmettent donc des pathogènes, et non des maladies comme on l’entend souvent. En dehors des moustiques (Diptères, Culicidés), les vecteurs principaux que l’on peut rencontrer en Occitanie sont les phlébotomes (Diptères, Psychodidés), les culicoïdes, petits moucherons piqueurs connus ici sous le nom d’arabis (Diptères, Cératopogonidés), mais aussi les tiques (Acariens, Ixodidés). De nombreuses autres familles d’insectes sont hématophages et peuvent ainsi, outre la nuisance, assurer la transmission aux humains et aux animaux de pathogènes : les taons (Diptères, Tabanidés), les puces (Siphonaptères), les poux (Phthiraptères), les stomoxes (Diptères, Muscidés) (figure 4.6), les simulies (Diptères, Simulidés) (Duvallet, Fontenille et Robert, 2017).

Parmi les maladies à transmission vectorielle émergentes ou ré-émergentes en Occitanie, on peut citer :

  • les arboviroses déjà signalées (dengue, chikungunya, Zika) dont l’extension vers le nord est le résultat de l’extension de l’aire de distribution du vecteur, le moustique-tigre ;
  • une autre arbovirose qui intéresse la santé animale : la fièvre catarrhale ovine, ou maladie de la langue bleue, qui affecte ovins et bovins. Les différents sérotypes du virus importés en Europe ont été transmis par des moucherons de la famille des Cératopogonidés (les Culicoïdes). La maladie a eu un impact considérable sur la filière élevage dans notre région ;
  • une tique (Hyalomma marginatum), originaire des régions subtropicales, est arrivée récemment en Occitanie, autour de Montpellier, sans doute transportée par des oiseaux migrateurs (figure 4.7).

Profitant du réchauffement climatique, elle s’est rapidement adaptée à nos écosystèmes méditerranéens. Cette tique est connue comme vecteur d’une maladie potentiellement mortelle, la fièvre hémorragique de Crimée- Congo. Or plusieurs cas de cette pathologie ont déjà été recensés en Espagne. Les entomologistes et les services de santé publique surveillent de près cette espèce invasive.

Dans ces exemples, on voit l’importance des actions anthropiques dans l’émergence de ces pathologies : transport des vecteurs, des pathogènes ou des hôtes d’un continent à l’autre. Le réchauffement climatique facilite le maintien, la survie et la dispersion des espèces introduites. Les hivers plus doux et plus courts en Occitanie augmentent la durée de la période favorable aux arthropodes pour compléter leurs cycles de vie. On a pensé longtemps que les maladies à transmission vectorielle étaient présentes principalement en régions tropicales, force est de constater qu’elles sont désormais présentes aussi dans nos régions tempérées.

Il est nécessaire de soutenir la formation et la recherche en entomologie médicale et vétérinaire pour identifier rapidement ces vecteurs invasifs, comprendre leur écologie et trouver les méthodes de contrôle les moins impactantes pour l’environnement. Tout le travail de terrain devrait se faire en parfaite multidisciplinarité associant entomologistes, écologistes, épidémiologistes, vétérinaires et médecins biologistes. La situation actuelle liée à la Covid-19 nous montre que la prévention est un impératif pour éviter des situations de crises.

Figure 4.6. Stomoxys calcitrans mâle (stomoxe).
(Source : Duvallet)

Figure 4.7. Hyalomma Marginatum.
(Source : Duvallet)

S’adapter aux impacts des changements climatiques sur la santé avec la biodiversité

S’adapter aux changements climatiques et à leurs impacts en termes de santé est possible notamment grâce à la mise en oeuvre de Solutions d’adaptation fondées sur la Nature (SafN), qui sont « des actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer les écosystèmes naturels ou modifiés, pour relever directement le défi de l’adaptation au changement climatique, tout en assurant le bien-être humain et en produisant des bénéfices pour la biodiversité » (UICN). Ces solutions peuvent être le développement de la végétalisation en ville et des infrastructures vertes, la désimperméabilisation des sols, la restauration de zones humides etc. Celles-ci peuvent présenter des effets positifs en termes de santé physique, sur les maladies chroniques notamment, qui représentent environ 70 % de la mortalité mondiale et sont favorisées par la pollution (OMS, 2017). Un espace de nature contribue à réduire la pollution atmosphérique, peut agir positivement sur les maladies respiratoires (Crouse et al. 2017) et favorise également la pratique sportive.

En termes de santé mentale et de bien-être psychologique également des études ont montré des bénéfices et des améliorations de la qualité de vie des individus : réduction du stress, de l’anxiété, de la tension artérielle (Tsunetsugu et al. 2013), du rythme cardiaque (Sonntag-Öström et al. 2014), voire même de la dépression et la diminution des « traitements à visée anxiolytique » (Nutsford et al. 2013). La renaturation des milieux urbanisés apparait aujourd’hui comme un levier majeur en termes de santé publique (Rojas-Rueda et al. 2019) et même si de nombreux sujets sont encore aujourd’hui à l’état d’hypothèses et doivent être précisés, les recherches convergent vers un consensus en faveur de la biodiversité pour améliorer la santé des individus.