Anticiper la dynamique d’insectes vecteurs dans un contexte de changements environnementaux et climatiques

Annelise TRAN (CIRAD – TETIS), Marie DEMARCHI (Maison de la Télédétection), Mathieu CASTETS (CIRAD – TETIS), Renaud MARTI (IRD – CBGP), Thierry BALDET (CIRAD – ASTRE)

Les maladies vectorielles, pour lesquelles l’agent pathogène (virus, bactérie, parasite) est transmis par la piqûre d’un insecte vecteur (moustiques, phlébotomes…), ont un impact important sur la santé humaine et animale dans le monde. Leur transmission est susceptible d’être modulée par les variations du climat, qui peuvent influer sur les cycles de développement du pathogène et du vecteur, dont elles conditionnent la présence et l’abondance. Des températures plus élevées sont globalement favorables aux insectes vecteurs et à la transmission des agents pathogènes associés (Kraemer et al. 2019).

Dans le Sud de la France, par le passé, le paludisme – transmis à l’Homme par certains moustiques Anopheles – constituait un problème sanitaire majeur, notamment en Camargue, foyer actif jusqu’au début du XXe siècle. L’assèchement des marais, l’amélioration des logements et des conditions de vie, et l’utilisation de la quinine ont permis l’élimination du paludisme dans cette région, et plus largement en France métropolitaine. Aujourd’hui, même si des moustiques du genre Anopheles sont présents, le risque de ré-émergence de cette maladie est faible (Ponçon et al. 2008).

En revanche, le moustique tigre Aedes albopictus, originaire d’Asie, adapté à l’habitat urbain et récemment implanté en Europe à la faveur de l’intensification des échanges commerciaux internationaux, constitue aujourd’hui un important enjeu de santé publique en France, comme vecteur des virus de la dengue, du Chikungunya et du Zika. Détecté en 2004 dans les Alpes-Maritimes, son adaptation au climat et conditions environnementales locales a permis sa rapide expansion à tout le territoire. Il est installé dans 64 des 96 départements de l’Hexagone (Ministère des Solidarités et de la Santé, 2021, Cartes de présence du moustique tigre (Aedes albopictus) en France métropolitaine).

Le retour de voyageurs infectés des régions tropicales où le virus est fréquemment présent augmente le risque d’épidémie aux périodes été-automne lorsque Ae. albopictus est abondant en France métropolitaine. Ainsi ont été détectés à Nice, Nîmes, Lyon, Montpellier des cas de dengue et chikungunya autochtones (personnes ayant contracté la maladie sans avoir voyagé en zone infectée). En l’absence de vaccin et traitement efficaces, la prévention des épidémies causées par le moustique tigre repose aujourd’hui sur la surveillance et le contrôle des populations de vecteurs.

Ainsi, pour mieux cibler ces actions, un outil de modélisation baptisé ARBOCARTO a récemment été développé pour créer des cartes prédictives de l’abondance des moustiques Aedes (Tran et al. 2020a). L’outil prend en compte l’impact des températures et pluies journalières sur le développement du moustique, ainsi que le contexte environnemental local, comme la disponibilité en gîtes larvaires (contenants d’eau dans lesquels les femelles Aedes pondent leurs oeufs et où leurs larves se développent).

Les sorties de l’outil sont des cartes dynamiques qui permettent d’identifier, à l’échelle des quartiers d’une ville, les zones et périodes à risque de prolifération des moustiques. ARBOCARTO permet de modéliser aussi l’impact des scenarii de lutte antivectorielle. Avec une interface utilisateur simple, ARBOCARTO est aujourd’hui utilisé de manière opérationnelle par les gestionnaires de santé publique à l’Ile de la Réunion (Tran et al. 2020b) et en Occitanie (figure 4.8).

Ainsi, la distribution des insectes vecteurs comme le moustique tigre, parce qu’ils dépendent étroitement des conditions climatiques et environnementales, est susceptible d’être considérablement modifiée par les changements globaux actuels. La compréhension par des approches expérimentales ou observationnelles de l’impact du climat sur la dynamique des populations de vecteurs permet, par la modélisation, de prédire efficacement cette dynamique, de développer des outils adaptés à la surveillance et au contrôle des maladies vectorielles ainsi que d’explorer la dynamique future de ces maladies selon différents scénarios de changements climatiques.

Cette démarche requiert une collaboration intersectorielle et interdisciplinaire entre entomologistes, épidémiologistes, écologues, modélisateurs, géomaticiens, informaticiens et acteurs de santé publique.

Figure 4.8. Exemple de cartographie de la densité de moustiques-tigre adultes prédite par l’outil ARBOCARTO à l’échelle infra-urbaine, Montpellier, août 2018. Les couleurs présentent un gradient de densité du vert (faible densité) au rouge (forte densité).
(Source : M. Demarchi)

Figure 4.9. Exposition des runneurs au nombre de jours supplémentaires en vague de chaleur.
(Source : WWF France, 2021)

Changements climatiques et pratiques sportives

La pratique de l’activité physique pourrait être limitée à cause des pics de chaleur et des fortes concentrations de particules dans l’atmosphère, selon une revue de littérature qui a rassemblé soixante-quatorze publications (Bernard et al, 2021). Une étude publiée en juillet 2021 par WWF France confirme ces résultats et estime qu’à l’échelle nationale, les français pourraient perdre 24 jours de pratique par an dans un scénario à +2 °C et jusqu’à « 2 mois d’activité sportive par an dans un monde à +4 °C ». Des études plus précises sur les impacts des changements climatiques sur la pratique sportive en Occitanie seraient nécessaires pour mieux comprendre et identifier plus précisément les effets des modifications du climat sur la pratique, les équipements et sites sportifs (clubs de voile et autres sites littoraux, stations de ski, salles de sport, stades engazonnés…), mais aussi la santé des sportifs (coups de chaleur, déshydratation, crampes, augmentation de la pollution et impacts sur le système cardiovasculaire…), partant du constat que la pratique sportive est déconseillée au-delà de 32 °C (WWF France, 2021).

A l’échelle de la région Occitanie, la santé est la première motivation à pratique une activité physique pour près d’un habitant sur deux (INJEP, 2020). La course et/ou la marche à pied sont largement pratiquées par la population (deux occitans sur cinq, INJEP, 2020). Pourtant, les conditions climatiques favorables à cette activité pourraient se détériorer et limiter largement cette pratique (figure 4.9) : le nombre de jours dépassant 32 °C pourrait augmenter de 25 à 35 jours dans 4 départements (Hautes-Pyrénées, Ariège, Pyrénées Orientales et Lozère), de 35 à 45 jours dans 5 départements (Gers, Haute-Garonne, Aude, Tarn et Aveyron) et de 45 à 55 jours dans 4 départements (Tarn et Garonne, Lot, Hérault et Gard).