L’Observatoire Participatif du Risque Canicule (OPRIC)

Béatrice GISCLARD (UN – PROJEKT), Marie-Julie CATOIR-BRISSON (UN – PROJEKT)

Même s’il n’existe pas de définition universelle de ce phénomène météorologique, la canicule est caractérisée par de très fortes chaleurs diurne et nocturne sur plusieurs jours consécutifs. La sécheresse se distingue de la canicule bien qu’elles soient souvent liées : l’une concerne l’absence de pluies sur une période, l’autre se réfère au niveau des températures de jour et de nuit durant une période prolongée.

En France le risque canicule est identifié comme un risque naturel majeur mais la réponse opérationnelle en termes de sécurité civile le classe dans la catégorie des risques sanitaires (ORSEC, 2006). En termes d’assurance, seule la sécheresse est prise en compte et elle représente 36 % du montant global de la sinistralité au titre des catastrophes naturelles entre 1982 et 2019 (CCR, 2019). En région Occitanie ce chiffre s’élève à 41 % (CCR, 2020) entre 1995 et 2019, pointant la vulnérabilité accrue du territoire face à ce risque.

Bien que des épisodes de fortes chaleurs aient pu être observés à des périodes préindustrielles, il est désormais établi que le rythme s’accélère dangereusement dû à l’impact de l’activité humaine sur le climat (GIEC, 2018). Concernant ce risque à une échelle locale, les projections issues du rapport « Eau et climat 3.0 » dans le Gard (département du Gard, 2020) prévoient une hausse généralisée des températures à l’horizon 2050 et 2100 et une augmentation de la température moyenne d’environ +0,5 °C par décennie par rapport à aujourd’hui.

Les simulations réalisées par Météo France sur l’arc méditerranéen vont dans le même sens : augmentation des vagues de chaleur avec des durées supérieures à un mois, de plus en plus de nuits anormalement chaudes et une augmentation de la sécheresse des sols. En 2019, c’est dans le Gard qu’a été enregistré le record absolu de température jamais mesurée en France, à savoir 45,9 °C à Gallargues-le-Montueux (Météo France) (voir chapitre-enjeu Climat régional).

Météo France identifie des seuils de vigilance qui varient selon les départements, en distinguant la vigilance, qui consiste à mettre en garde face à un risque (par essence, non encore réalisé), de l’alerte, déclenchée par le maire ou le préfet, qui prévient d’un danger avéré mettant en péril des individus. Or, dans le contexte d’un risque diffus, c’est-à-dire « dont les contours ne sont pas nettement définis », il est difficile pour les autorités de circonscrire précisément une temporalité, une emprise territoriale et les populations concernées.

En effet, tous les individus ne présentent pas le même degré d’exposition au risque canicule selon les vulnérabilités individuelles et/ou sociales : les personnes âgées, les nourrissons, les femmes enceintes, les personnes souffrant de pathologies aigües, etc., mais également les personnes sans domicile fixe ou précaires, ne disposant pas d’un logement adapté (voir chapitre-enjeu Santé).

On relève également des inégalités territoriales face à ce risque : une analyse plus fine des phénomènes distingue les îlots de chaleur urbains (ICU) où les matériaux des bâtiments et des surfaces emmagasinent l’énergie solaire dans la journée et la restituent dans la nuit, ne permettant pas à l’air de se refroidir contrairement aux zones rurales, moins densément urbanisées (voir chapitre-enjeu Milieux urbanisés). La perception du nombre des victimes de la canicule est parfois minorée du fait de son expansion temporelle, a contrario d’une catastrophe ponctuelle plus à même de marquer les esprits (inondation, séisme ou tsunami par exemple). En France, le nombre de morts par jour durant l’épisode de canicule de l’été 2003 était supérieur à celui relevé durant la crise sanitaire du printemps 2020, avec une mortalité caniculaire plus brève et plus intense que celle due au Covid-19 (INSEE, 2020). La perception de la gravité d’une situation diffère parfois fortement des faits et chiffres établis en lien avec ladite situation. À ce titre, le risque canicule n’échappe pas à ce paradoxe, renforcé par les choix médiatiques du moment.

Partant du constat que ce risque est en augmentation mais que ses manifestations (amplitude géographique et temporelle et personnes concernées) font qu’il est mal appréhendé, tant par les populations que par les autorités en charge de sa gestion, nous avons souhaité développer une approche originale dans le cadre du WP5 de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et du projet INPLIC (INitiatives des Populations Locales et Intégration dans la Conduite de crise, projet d’analyse cofinancé par l’Agence Nationale de la Recherche et porté par le laboratoire DICEN du CNAM Paris, l’Université de Technologie de Troyes – Institut Charles Delaunay et le laboratoire Projekt de l’Université de Nîmes). Pour faire face à la canicule, les populations doivent souvent se débrouiller par leurs propres moyens et développer par elles-mêmes les compétences et les solutions nécessaires. Le parti-pris a été de s’appuyer sur les sciences participatives et des méthodologies issues du design social afin de développer un Observatoire Participatif du Risque de Canicule (OPRIC). Les objectifs de cet observatoire sont pluriels : contribuer à développer une conscience et une culture de ce risque en rassemblant et en rendant visibles des initiatives issues des populations pour faire face à ce phénomène, capitaliser sur la mémoire collective et individuelle de ce risque, co-construire des solutions frugales et ouvrir le champ à des imaginaires collectifs.

Une première étape a consisté à réaliser des immersions terrain auprès d’habitant.es à Nîmes et à proximité (maijuin 2020). En parallèle, des entretiens ont été menés avec des professionnels (pompiers, collectivités territoriales, préfecture) et un travail de veille sur des initiatives en lien avec le risque a été effectué. Compte-tenu de la période particulière (contexte sanitaire et confinement) du printemps 2020, les réseaux sociaux ont été mobilisés pour recueillir des informations, échanger avec les habitant.es et personnes intéressées via la page Facebook créée à cet effet. Toutes ces initiatives, mises en place sur le territoire occitan et en ligne, ont contribué à constituer une communauté d’intérêts impliquant des citoyens autour du risque canicule.

Le 3 septembre 2020, nous avons réalisé un premier atelier participatif au FabLab de Nîmes grâce à l’appui des agences de design social Étrange-Ordinaire et CommunHic. L’atelier, qui a réuni une vingtaine de participant.es (habitant.es et spécialistes) sur une journée, était réparti en quatre activités. La première concernait la perception et les ressentis de la canicule et mettait les participant.es au défi de créer le nuancier de la perception et du ressenti de la canicule. La deuxième activité avait pour objectif de capitaliser sur la connaissance en créant une mémoire vivante du risque. Dans la troisième activité, il s’agissait de définir un langage caniculaire via la sémantique, le champ lexical et les stratégies de communication. Enfin, dans la quatrième activité, le design fiction était mobilisé pour faire face à des scénarios de situations de crise caniculaire. Le « chaman » guidait le voyageur dans son récit, le « scribe » était en charge de la retranscription et le « journaliste » posait des questions sur les points clés de la narration. Un second atelier a été réalisé en ligne – compte tenu de la crise sanitaire et en période de confinement – le 23 avril 2021 avec une quinzaine d’acteurs en charge de la gestion de la canicule au niveau territorial. Les participant.es devaient dans un premier temps cartographier les acteurs de la canicule au moyen de la plateforme de collaboration visuelle Miro©. Dans un second temps par équipe, il s’agissait de combiner des acteurs, des publics, des lieux dans une situation donnée (exemple : « les individus s’équipent de climatiseurs. Ces derniers créent des nuisances sonores et contribuent à la hausse de la température dans la rue ») et d’imaginer une solution répondant à la situation.

La recherche étant encore en cours, les résultats définitifs ne sont pas établis. Cependant, à partir des données récoltées et des premiers éléments issus des deux ateliers, nous pouvons néanmoins esquisser quelques réflexions. Le protocole d’enquête a permis de faire ressortir un réel intérêt pour le sujet malgré un contexte compliqué et des freins aux rencontres physiques et à l’accès au terrain. Les personnes rencontrées sont porteuses de propositions concrètes à mettre en oeuvre pour faire face à la canicule et les méthodologies employées ont permis de valoriser les apports individuels et collectifs sur le sujet. Le croisement d’expertises et expériences des professionnels du risque avec celles des habitants a aussi permis de développer de nouvelles pistes de réflexion sur les modes d’action de l’observatoire, au-delà du projet INPLIC co-financé par l’ANR, en tissant des liens avec d’autres acteurs impliqués dans le risque canicule, aux niveaux local et national. Cette approche en co-construction a aussi permis de développer des pistes de solutions sous différentes formes (scénarios d’usage, cartographies, collections de photographies) qui constituent aussi des données probantes de recherche sur l’apport du design social à la problématique des risques.