Acceptation de l’incertitude climatique grâce aux prévisions probabilistes

Gaëlle JOUANNO (UPS – LERASS)

Les prévisions météorologiques sont probablement une des prévisions scientifiques les plus visibles et les plus utilisées par les publics non spécialisés. Ces derniers possèdent une expérience vécue importante des prévisions et des conditions météorologiques (Morss et al., 2008). Aujourd’hui, les évolutions techniques et mathématiques ont conduit la météorologie à développer des prévisions plus précises, les prévisions probabilistes qui quantifient l’incertitude des phénomènes météorologiques à venir. Cette quantification s’exprime à l’aide de données chiffrées.

Par cette expérience quotidienne, la communication des prévisions probabilistes météorologiques pourrait-elle contribuer à la prise en compte des changements climatiques et favoriser la transition écologique ? En 2020, la réalisation d’une étude sur les représentations des prévisions probabilistes auprès de publics non spécialisés (Jouanno, 2020) nous permet de dégager des pistes intéressantes sur cette question (figure 12.2). Le terrain d’enquête est Toulouse, 4e ville de France avec 471 941 habitants et 1530 au kilomètre carré, ce qui fait de cette ville un espace à faible densité comparé aux grandes villes. La moyenne d’âge de la population est de 34 ans, elle compte une population étudiante importante (INSEE, 2021). L’enquête réalisée correspond à un échantillon de 75 participants, toutes méthodes confondues (questionnaire, focus group, entretiens).

Tout d’abord, les résultats de cette étude montrent un intérêt fort des publics non spécialisés pour les prévisions probabilistes, ce qui rejoint les résultats d’enquête de Murphy (Murphy, 1980). Les prévisions probabilistes se présentent comme un outil d’aide à la décision pour la majorité des enquêtés. Ces derniers établissent leur propre seuil influençant leur décision selon leurs expériences vécues et leurs attentes. Certains prendront la décision de se déplacer en vélo après une consultation à 20 % et d’autres à 50 % de précipitation. Le niveau de compétence, les attentes des utilisateurs et le format du support peuvent toutefois constituer des freins. Un utilisateur grand public recherche une prévision claire, précise et instantanée.

Figure 12.2. Comparaison des préférences du panel d’interrogés entre « connaitre le degré de confiance dans les prévisions qui me sont données » et « faire confiance à l’éditeur de l’information », extrait de l’étude « La communication des prévisions probabilistes ».
(Source : Jouanno, 2020 pour Météo France)

Cette prévision, l’utilisateur doit être capable de la visualiser dans sa totalité (intensité, temps, donnée), même pendant une courte consultation (1-2 min). L’intérêt de cette étude est de prouver que l’introduction de l’incertitude au sein des prévisions probabilistes permettra d’instaurer une meilleure confiance dans les prévisions. Car l’incertitude est inhérente aux prévisions météorologiques. Quand les prévisionnistes cherchent à évincer cette incertitude, on a pu vérifier que la communication de fausses certitudes provoque une aversion aux prévisions météorologiques chez certains enquêtés. A long terme, l’accroissement de l’information de l’incertitude des prévisions au quotidien pourrait donc être vu comme un outil pédagogique pour l’information climatique. Faire admettre petit à petit la dimension d’incertitude au sein des prévisions météorologiques quotidiennes auprès du grand public permet de le rendre plus à l’aise avec ce type de raisonnement.

Rendre ces données chiffrées accessibles et installées dans le quotidien pourrait favoriser un changement face à l’incertitude et à sa gestion dans la prise de décision chez les publics non spécialisés. Pour aller plus loin, privilégier le rapport au monde et à la nature de chacun en lien avec une dimension écologique et les consultations météorologiques, par le biais des domaines de consultation comme la pratique sportive, la gestion quotidienne, les déplacements ou encore le jardinage etc., peut constituer une ouverture communicationnelle vers de nouvelles représentations. La dimension spatiale imposée aux conditions météorologiques selon les territoires peut renforcer un discours et des représentations de la transition écologique au plus près de la réalité locale. Cette médiation scientifique invite ses utilisateurs à visualiser différents aspects de la transition écologique de façon cohérente (consommation, usage, solidarité) et lors de leur prise de décision (consultation et anticipation des conditions météorologiques). Cela peut constituer une forme de communication peu coûteuse et peu culpabilisante vers et pour une appropriation progressive en faveur de nouvelles représentations et pratiques (Libaert, 2010).

En conclusion, la communication quotidienne de l’incertitude peut contribuer à la « conscientisation » des publics non spécialisés et permettre un dépassement des limites de la communication des changements climatiques (Juanals, 2019). Même si les prévisions météorologiques ne se confondent pas avec les projections de changements climatiques par leur niveau temporel et leur modèle numérique de calcul, la consultation des prévisions probabilistes, comprenant la quantification de l’incertitude d’un phénomène, en vue d’une prise de décision quotidienne, permet d’appréhender l’incertitude climatique en la rendant plus gérable et acceptable au quotidien.