Quels moyens pour passer de l’individuel au collectif ? Communication, changements structurels et engagements collectifs

Andreas ERIKSSON (UPS – LERASS)

La plupart des études en communication environnementale recommandent d’augmenter la visibilité et la vividité (le degré avec lequel les messages suscitent 1) un intérêt émotionnel ; 2) un aspect concret susceptible de provoquer des images mentales, et 3) une grande proximité sur le plan sensoriel, temporel ou spatial, Nisbett et Ross, 1980) des changements climatiques en cours dans des messages plus territorialement ciblés et en proposant des solutions concrètes et adaptées aux problèmes locaux que ces changements globaux génèrent. Il s’agit de surmonter la peur suscitée chez les individus en montrant que les institutions agissent à la hauteur des enjeux et soutiennent les initiatives locales à l’oeuvre qui fonctionnent et réunissent des citoyens collectivement. À rebours des prescriptions individuelles à changer de comportement, il s’agit de donner à voir l’efficacité des projets collectifs et ainsi d’augmenter la perception et le sentiment de capacité à agir des individus.

La communication engageante propose justement d’impliquer les citoyens dans des actions publiques et libres de choix, afin de susciter des nouvelles expériences et des engagements dans des dynamiques de groupe (figure 12.3). L’objectif est donc de peser sur les actions pour changer les idées. Au lieu d’un public « passif » en manque d’information et de connaissances, la communication engageante propose d’agir « ici et maintenant » avec des publics « actifs » ayant un rôle et statut de décideur dans le cours des actions au quotidien. Ce paradigme montre combien nous sommes plutôt engagés par nos actes et des situations externes, sociales et communicationnelles. La communication engageante vise à modifier les croyances et les représentations initiales des publics en les invitant à réaliser un petit acte qui peut être source d’une nouvelle expérience et un changement d’habitude (Bernard, 2018). Notons que ce changement en acte doit être libre de choix et s’inscrit dans le temps long lorsqu’il est collectif.

Figure 12.3. La communication engageante.
(Source : Eriksson et Luciani, 2017)

Par exemple, le projet de recherche-action URCPIE Midi- Pyrénées (2019) intitulé « S’engager dans la Transition Écologique » présente des retours d’expériences de la communication engageante pour engager des groupes d’habitants dans leurs lieux de vie et des groupes de salariés sur des écogestes dans des lieux de travail de 28 entreprises de la Région Midi-Pyrénées.

Ces projets communs font sens au niveau des lieux de vie, des quartiers, des communes, des écoles aux universités et des entreprises. Ils peuvent être initiés par les collectivités locales et permettent de pérenniser l’investissement des citoyens par des engagements qui s’auto- alimentent dans la dynamique portée par les groupes locaux. À l’appui, les professionnels de l’éducation à l’environnement ont les compétences et les ressources créatives afin d’entraîner les citoyens à redécouvrir la nature proche et ordinaire et à développer dès l’enfance des sensibilités et des identités environnementales et donc des attachements aux lieux de vie.

L’art de la sensibilisation fait bien appel aux sens, au sensible et à donner un sens plus engageant aux actions que nous pouvons mettre en place localement et collectivement dans et avec la nature.

En guise de conclusion, nous aimerions souligner que les écogestes individuels, bien que nécessaires, ne permettent qu’une baisse de 5 à 25 % de l’empreinte carbone personnelle compatible avec l’Accord de Paris. Comme le souligne l’étude de Carbone 4 pilotée par Jean Marc Jancovici (Carbone 4, 2019), les 3⁄4 restants dépendent de la décarbonation systémique de l’industrie, l’agriculture, le transport, de l’énergie et des services publics. L’étude conclut qu’il « est donc vain, et même dangereusement contre-productif, de prétendre résoudre la question climatique en faisant reposer l’exclusivité de l’action sur les seuls individus ». Si le changement de comportement individuel reste important à accompagner, il s’agirait donc de redoubler d’effort pour un engagement collectif fort, à la croisée de ces multiples secteurs dans lesquels nous sommes tous reliés, inter-dépendamment, comme acteurs du changement.

L’enseignement majeur de ces constats est au moins de deux ordres :

1) La « prise de conscience climatique » est globalement acquise en France mais ne se traduit pas dans des changements individuels de comportements rapides et efficaces. Au-delà des freins psychosociaux pour passer à l’acte, les verrous de l’engagement collectif sont institutionnels et sociétaux, et nécessitent des changements structurels en commençant par la formation systémique des citoyens pour faire face aux défis de notre siècle. Et l’enjeu est de taille selon le rapport du climatologue Jean Jouzel (Rapport du groupe de travail « Enseigner la transition écologique dans le supérieur », 2020) car « la transition écologique n’est enseignée que de façon marginale, quand elle l’est », alors que celle-ci « mérite un effort, depuis le primaire jusqu’à la fin du lycée, en direction de tous les élèves » en y associant les parties-prenantes hors-établissements tels que les associations, les entreprises et les collectivités (Jouzel et Abadie, 2020).

2) Si l’éducation reste essentielle, l’enjeu climatique n’est plus tant de persuader les publics par des campagnes massives et coûteuses pour changer des comportements individuels, mais de savoir comment engager collectivement. Autrement dit, il s’agit d’une question d’engagement et de communication climatique qui se décline d’une façon cohérente à l’échelle territoriale, dans une mosaïque locale de transitions écologiques et énergétiques. Des expérimentations collectives et innovantes sont déjà « passées à l’acte », dans lesquelles la communication engageante peut investir les dynamiques de groupe pour engager les citoyens d’une manière plus pérenne. Au-delà des écogestes, l’engagement dans des projets communs et l’encapacitement à l’action (néologisme renvoyant au fait de « donner la capacité de ») avec et par les pairs, véhiculent des significations et des expériences du changement plus durables, car collectivement partagées sur le temps long.