Des leviers de passage à l’action : communication engageante & nudge pour réduire le gaspillage alimentaire

Fabien GIRANDOLA (AIX-Marseille U. – LPS), Daniel LUCIANI (ICOM 21)

Dans le cadre du Plan Climat Air Énergie Territorial et du Programme Local de Prévention des Déchets, Toulouse Métropole a décidé d’engager une action visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées au gaspillage alimentaire en encourageant les restaurateurs à promouvoir dans leurs établissements le doggy bag, appelé plus joliment à la française le « Gourmet Bag ».

L’Agence ICOM 21 et le Laboratoire de Psychologie Sociale d’Aix-Marseille Université ont été sollicités pour mener une expérimentation de juin à juillet 2015 afin de tester la pertinence et l’efficacité d’un dispositif de communication engageante associé aux techniques des nudges afin de faciliter la diffusion et l’acceptation du doggy bag tant chez les professionnels que les particuliers. L’étude a été déployée avec le concours de huit restaurateurs membres de l’UMIH 31 (Union des Métiers et des Industries Hôtelières de la Haute-Garonne), de la DRAAF Midi-Pyrénées et de l’ADEME Midi-Pyrénées.

En France, bien que le doggy bag ne soit pas une pratique courante, 75 % des consommateurs se disent prêts à l’utiliser (enquête réalisée par la DRAAF Rhône- Alpes, 2014). Nos habitudes font que nous éprouvons des réticences à demander au restaurateur de pouvoir emporter les restes d’un plat. Pourtant, dans les pays anglo-saxons, cela se pratique depuis des années. Le but de l’étude réalisée était donc de tester concrètement une campagne de communication engageante dans les restaurants en s’appuyant sur des techniques qui favorisent le changement de comportement des consommateurs au profit d’une pratique éco-citoyenne.

Le gaspillage alimentaire est un axe fort de la politique coordonnée par le Ministère en charge de l’agriculture et de l’alimentation. L’objectif est d’arriver à réduire en France ce gaspillage alimentaire dans les foyers et au niveau des opérateurs de la filière. Les chiffres montrent que 90 millions de tonnes/an de denrées alimentaires sont gaspillées dans l’Union européenne. Au niveau national et de Toulouse Métropole c’est 65 kg par habitant de denrées alimentaires gaspillées dont 7 kg directement jetés emballés.

Dans le secteur de la restauration, on trouve 14 % de gaspillage alimentaire en restauration traditionnelle et le gaspillage s’élève à 230 g / personne / repas. Selon une étude du WRAP (WRAP, 2008), chaque tonne de nourriture jetée serait responsable de 4,5 tonnes de CO2. Une étude de l’ADEME évalue à 15,3 millions de tonnes équivalent CO2 (Mteq) l’impact carbone de ces pertes et gaspillages. Cela correspond à 3 % de l’ensemble des émissions de l’activité nationale (les émissions de la France sont de 491 Mteq CO2, format inventaire CITEPA, données 2013).

Le gaspillage alimentaire est donc bien un enjeu pour lutter contre les dérèglements climatiques.

L’étude, basée sur le principe de la communication engageante, s’est déroulée sur 4 semaines. La première semaine consistait en un test à blanc sans protocole ni dispositif de communication engageante (phase 1) : on note tout simplement dans les restaurants le nombre de repas non terminés et le nombre de gourmet bag distribués. Les trois semaines suivantes (phase 2), nous avons déployé le protocole de communication engageante sur 8 555 clients comptabilisés.

Avec le principe de la communication engageante, il ne s’agit pas de diffuser seulement une information à visée persuasive mais de suggérer, en plus, aux clients d’agir en réalisant de petits actes préparatoires engageants qui vont les prédisposer à en accepter de plus coûteux (Girandola & Fointiat, 2016). Ainsi, nous avons imaginé un dispositif de communication engageante se déroulant de la manière suivante : l’opération Gourmet Bag était annoncée d’une manière très visible sur la porte du restaurant par une affiche. Ensuite, les serveurs.ses devaient adopter tou.te.s le même discours en informant les client.es qu’un Gourmet Bag était réservé pour eux/ elles quoi qu’il arrive. C’est ce que l’on appelle l’option par défaut dans la technique du nudge : le gourmet bag est proposé par défaut. Cela permet de limiter la gêne occasionnée par sa demande.

Un petit chevalet en carton annonçant cette opération était disposé sur la table à laquelle les client.es prenaient place. Sur le chevalet, nous avons mobilisé le principe de la haute identification à l’action : adopter le Gourmet bag c’est contribuer à lutter contre le gaspillage alimentaire. On proposait ensuite aux client.es de répondre à un questionnaire de table sur leurs opinions envers le gourmet bag et le gaspillage alimentaire de manière générale. Ce comportement, accepté en toute liberté, est considéré comme un acte préparatoire engageant. Si à la fin du repas le client n’avait pas terminé son repas, un Gourmet Bag lui était proposé en l’informant que beaucoup l’ont déjà adopté. Cette technique met en jeu la norme sociale. Il est ensuite remercié pour son action.

Sur 1018 questionnaires remplis, 76 % des répondants évaluent la lutte contre le gaspillage alimentaire comme tout à fait importante, 61 % considèrent le Gourmet bag comme tout à fait utile, 60 % indiquent avoir la possibilité de stocker leur Gourmet bag. Nous avons comparé le taux d’acceptation entre la phase 1 (sans communication particulière) et la phase 2 (avec communication engageante).

Les résultats montrent que le nombre de Gourmet Bag distribués augmente significativement entre les phases 1 et 2 : de 17 % d’acceptation (13/77) pour la phase 1 à 38 % d’acceptation (70/184) pour la phase 2 soit 21 % de plus (5 fois plus) de Gourmet Bag distribués. Les résultats attestent de la réussite de l’étude. La communication engageante déployée pendant l’opération augmente significativement le nombre de Gourmet bag distribués. Ainsi, l’application et la généralisation de la procédure et pratique de la communication engageante dans les restaurants partenaires peut grandement contribuer à la réduction du gaspillage alimentaire.