Gérer les ressources fourragères et assurer la durabilité et la résilience des systèmes d’élevages

Dormir en été ou mourir : comment les graminées pérennes survivent aux sécheresses méditerranéennes

Florence VOLAIRE (INRAE – CEFE)

Les prairies naturelles, les parcours pâturés, certaines cultures fourragères et les pelouses ornementales sont constitués majoritairement de graminées pluriannuelles. Dans nos régions et sans irrigation, comment ces espèces peuvent-elles survivre à de fortes sécheresses estivales qui sont de plus en plus sévères ? Contrairement aux espèces annuelles qui produisent leurs graines au printemps et évitent ainsi l’été, les espèces pérennes herbacées mettent en oeuvre trois stratégies principales pour se perpétuer sur plusieurs années (Volaire, 2018).

La première stratégie est d’éviter de se déshydrater notamment en allant chercher de l’eau dans le sol en profondeur avec un système racinaire efficace. Mais cela n’est possible que tant que l’eau est disponible en conditions de sécheresse modérée. Puis, quand la sécheresse s’intensifie, les plantes doivent tolérer la déshydratation. Cette seconde stratégie est plus développée chez les populations méditerranéennes que chez les populations d’origine tempérée. Nous avons montré que chez le dactyle et la fétuque (Poirier et al., 2012), les populations tempérées présentaient de la mortalité à partir de déficit climatique, c’est-à-dire une différence entre les précipitations et l’évapotranspiration de mai à septembre d’environ 450 mm sur sols profonds, et probablement bien moins sur sols plus superficiels (figure 8.1). De plus, les populations des régions méditerranéennes semi-arides (Maroc, Californie) présentent une stratégie encore plus efficace, c’est la dormance estivale qui leur permet de tolérer la déshydratation pendant plusieurs mois (Volaire et Norton, 2006).

Cette stratégie est peu connue mais correspond à l’inverse de la dormance hivernale qui se caractérise par la chute automnale des feuilles des arbres pour permettre à ces espèces de tolérer ensuite le gel hivernal (qui est aussi une déshydratation). Dans les deux cas, la dormance est induite par la photopériode et la température. On mesure la dormance estivale comme la capacité des plantes à ne pas pousser et dans le cas de dormance complète, à se dessécher même sous irrigation estivale. Nous montrons que cette stratégie illustre le compromis entre capacité à investir dans la croissance et la capacité à survivre au stress (Keep et al., 2021). Pour la majorité des organismes vivants en effet, se mettre en repos, économiser son énergie est la meilleure façon de survivre à la plupart des stress du milieu. La dormance permet d’anticiper les stress et de les surmonter au mieux. Cette stratégie a un grand intérêt écologique et agronomique pour la survie à des sécheresses plus intenses en été.

Avec des collègues généticiens (INRAE Lusignan), nous avons montré que cette dormance estivale est en fait présente chez les populations méditerranéennes de deux espèces très répandues en Europe, le ray-grass anglais et le dactyle. En collaboration avec des firmes de semences nationales, nous menons un projet pour développer de nouvelles variétés de dactyle qui présentent une gamme de dormance estivale mais aussi une bonne productivité de biomasse fourragère aux autres saisons plus pluvieuses (projet CASDAR Dactysec). En effet, et encore actuellement, la plupart des variétés de ces espèces présentes sur le marché des semences ont été sélectionnées pour les grandes régions d’élevage en zones tempérées et vont être de moins en moins pérennes. Vu que le climat européen tend vers une « méditerranéisation », les adaptations des espèces sous nos latitudes doivent être étudiées et valorisées (Norton et al., 2016) car elles sont susceptibles de permettre l’adaptation aux conditions plus drastiques qui vont sévir beaucoup plus largement dans un proche avenir sous réchauffement climatique.

Figure 8.1. Zones d’adaptation des graminées pérennes selon le déficit hydrique présent et futur sous changement climatique en fonction de la disponibilité hydrique des sols. Du fait de leur faible tolérance à la déshydratation, les populations tempérées seront moins pérennes et donc moins adaptées. Les populations d’origine méditerranéenne et semi-arides seront par contre de plus en plus adaptées car leurs stratégies de tolérance à la déshydratation et/ou de dormance estivale leur permettent une plus grande résilience sous sécheresses croissantes.
(Source : F. Volaire)

Accompagner l’adaptation des systèmes fourragers au changement climatique : identifier des leviers d’adaptation et créer un outil pour les éleveurs, les conseillers, les étudiants

Vincent THÉNARD (INRAE – AGIR)

Les premiers effets du changement climatique sont déjà visibles dans les exploitations d’élevage d’Occitanie. L’émergence d’aléas climatiques de plus en plus fréquents conduit les éleveurs à devoir adapter leurs systèmes fourragers pour préserver la pérennité de leur exploitation. Au cours du projet Mélibio (2014-2019), le Pôle AB Massif central, l’ITAB, l’INRAE et des conseillers agricoles ont mis au point une démarche d’accompagnement pour identifier les leviers d’adaptation. Ces leviers, directement actionnables par les éleveurs, visent à renforcer l’autonomie de leur élevage.

A partir d’enquêtes exploratoires, en zones méditerranéennes où des éleveurs développent déjà des stratégies d’adaptation et des ateliers participatifs menés dans le sud du Massif central en Occitanie, de nouveaux leviers d’action ont été identifiés et testés pour renforcer l’autonomie fourragère des élevages face à des aléas climatiques futurs. Au final, ce travail a conduit à élaborer un jeu de cartes des leviers d’autonomie pour accompagner des éleveurs et des étudiants dans leur réflexion sur l’adaptation des systèmes fourragers au changement climatique.

L’influence méditerranéenne sera plus forte en 2050 dans le Massif central

La simulation à l’échelle régionale fait apparaitre des différences entre zones du Massif central mais, globalement, le climat verrait un réchauffement d’ici 2050 de quelques degrés (+1,5 °C à +2 °C), en particulier en région Occitanie. Les précipitations annuelles devraient peu changer mais leurs répartitions se modifier : au-dessous de 600 m, elles seraient davantage groupées au printemps et en automne, parfois sous forme d’orage avec de fortes pluies concentrées sur quelques jours seulement (AP3C, 2018). Cette évolution correspondrait à une remontée vers le nord du climat « méditerranéen subhumide » laissant place à des étés plus chauds et plus secs avec un ensoleillement important, et une hausse de l’évapotranspiration, augmentant les besoins en eau de la végétation.

Des éleveurs de Toscane et de Catalogne déjà contraints de s’adapter aux sécheresses estivales

Aujourd’hui, dans deux régions méditerranéennes, la Toscane et la Catalogne, les éleveurs développent déjà des stratégies d’adaptation face à la sécheresse. Le climat actuel est similaire à ce qu’il pourrait être en 2050, dans le sud du Massif central en Occitanie. À partir d’enquêtes auprès d’éleveurs et de conseillers agricoles, nous avons ainsi identifié quatre stratégies :

  • 1) des producteurs de lait de vache en système intensif utilisent peu le pâturage et irriguent les cultures fourragères ;
  • 2) des producteurs de lait de brebis pour produire du fromage sous AOP « Pecorino Toscano » cultivent la luzerne combinée à du pâturage de prairies diversifiées ;
  • 3) des producteurs de viande développent de nombreuses cultures fourragères, notamment d’hiver afin de profiter des pluies hivernales et constituer des stocks ;
  • 4) des éleveurs de broutards valorisent les prairies permanentes de montagne associées à des cultures variées et irriguées. Ainsi les leviers d’adaptation développés aujourd’hui sont agronomiques (choix d’espèces, cultures adaptées) ou techniques (stock, irrigation) (Thénard et al., 2015).

Tester en ateliers participatifs de nouveaux leviers d’adaptation aux aléas climatiques futurs

Pour un éleveur, dans cette période de transformation du climat, il est essentiel de s’adapter aux aléas climatiques. Lors d’ateliers participatifs (éleveurs, conseillers, chercheurs), nous avons identifié, testé et évalué les leviers les plus pertinents permettant à des éleveurs d’Occitanie de se préparer au changement climatique. Ces ateliers ont été conduits dans deux zones du nord de l’Occitanie (Tarn et Aveyron) : des éleveurs de vaches laitières dans les coteaux de l’Albigeois (81), déjà habitués à des sécheresses estivales proposent de diversifier leurs cultures (cultures à double fin, luzerne…) et envisagent d’irriguer les prairies. Les aléas de sécheresse ou au contraire de pluies trop abondantes au printemps impliquent de raisonner « en temps réel » et d’adapter le système fourrager en misant sur la diversité des cultures.

En revanche, des éleveurs de brebis laitière des Causses (12) font face à des sécheresses d’été importantes sur des sols pauvres et très séchants : pour eux l’adaptation par de nouvelles cultures est difficile. Ce groupe d’éleveurs vise la sécurisation du système par l’achat de fourrage, permise par un prix du lait attractif. Au cours de ces ateliers nous avons constaté la pertinence des leviers identifiés en Toscane et Catalogne pour s’adapter à la sécheresse en fonction des conditions de milieu et des types de production agricoles (Cliozier, 2018).

Un jeu sérieux pour favoriser les échanges entre éleveurs et conseillers agricoles et former les étudiants

Lors du projet MELIBIO, des leviers d’adaptation des systèmes fourragers ont été identifiés, ce fut aussi le cas dans un autre projet (CASDAR OPTIALIBIO). Les partenaires de ces deux projets (le Pôle AB Massif central, l’ITAB, l’IDELE et l’INRAE) ont décidé de valoriser ces résultats, sous forme d’un jeu de cartes, simple.

Ainsi est né « LAURACLE, 40 leviers pour l’autonomie fourragère » (figure 8.2). Le jeu repose sur la description d’une quarantaine de cartes leviers d’adaptation. Cette description présente les avantages et inconvénients de leurs mises en oeuvre. Ce jeu sérieux vise à répondre aux besoins du conseil en élevage, favorise les échanges entre éleveurs et conseillers agricoles, et envisage des voies d’adaptation au réchauffement climatique des systèmes fourragers. Il a aussi été utilisé lors de sessions de formation d’étudiants en agronomie (Thénard, 2021). Ce jeu est téléchargeable sur le site Mélibio.

Figure 8.2. Etude climatique, enquêtes en élevage et ateliers de conception ont permis la création d’un jeu de cartes LAURACLE pour envisager l’adaptation des systèmes fourragers face au changement climatique en Occitanie.
(Source : Thénard, 2021)

Les systèmes d’élevage d’Occitanie face au changement climatique : quels leviers d’adaptations ?

Fabien STARK (INRAE – PASTO), Amandine LURETTE (INRAE – PASTO), Aurélie MADRID (IDELE), Charles-Henri MOULIN (AGRO – SELMET)

Le changement climatique a des effets directs sur la composante animale des systèmes d’élevage, mais également sur les ressources alimentaires (figure 8.3). L’élevage d’Occitanie est et sera fortement impacté par le changement climatique, compte tenu des modes de conduite des systèmes d’élevage de la Région. En effet, avec près d’un tiers des surfaces agricoles d’Occitanie classé en surface toujours en herbe (STH, Agreste 2021), l’élevage régional, principalement ruminant, repose en partie sur le pâturage de surfaces pastorales (pelouses, landes, bois), notamment à l’est, mais également sur une diversité de ressources fourragères : prairies permanentes, prairies temporaires, cultures fourragères… Ces différentes surfaces sont et seront affectées par le changement climatique, de façon plus ou moins marquée.

En particulier, dans le cas des surfaces pastorales, qui sont composées de végétation spontanée, sur des terres non labourables, sans possibilité de fertilisation ni d’irrigation, les possibilités « directes » d’en atténuer les effets sont limitées. Les ressources alimentaires cultivées sont également impactées, avec une baisse du rendement des prairies temporaires par exemple. Pour autant, plusieurs leviers sont mobilisables par les éleveurs pour faire face aux effets du changement climatique sur leurs systèmes d’élevage : gestion des ressources fourragères, gestion du troupeau, espèces cultivées, race et composition des troupeaux.

Dans le cadre de travaux de recherche menés au sein de l’UMR SELMET (Unité mixte de recherche systèmes d’élevages méditerranéens et tropicaux) et dans le cadre de l’UMT PASTO (Unité mixte et technologique ressources et transformations des élevages pastoraux en territoires méditerranéens), certains de ces leviers sont ainsi étudiés pour essayer d’apporter des solutions aux préoccupations des éleveurs.

Le projet Agrosyl (GOPEI, 2016-2020), porté par la chambre départementale de l’Ariège, en partenariat avec l’UMR Selmet, l’Idele et le CNPF, s’est ainsi attaché à tester certaines pratiques sylvopastorales pour accompagner l’évolution des systèmes herbagers pyrénéens vers une meilleure résilience face au changement climatique. Ces travaux ont notamment permis d’explorer certaines pratiques prometteuses tel que l’introduction de banques fourragères arbustives de type murier blanc pour disposer d’un fourrage vert et pérenne en période estivale, ou encore la mise en place d’éclaircies sylvopastorales pour favoriser la pousse de l’herbe et le pâturage par les ruminants.

Le projet AdaptHerd (PRIMA, 2019-2023), est quant à lui un projet de recherche international associant plusieurs organismes de recherche du pourtour méditerranéen (Espagne, Tunisie, Egypte), et concerne plus spécifiquement les modes de conduite pour améliorer la résilience et l’efficience des troupeaux en fonction de la capacité d’adaptation des petits ruminants. Concernant les situations françaises (élevage ovin viande méditerranéen), il s’agira de s’appuyer sur les stratégies d’adaptation au changement climatique mises en oeuvre par les éleveurs, pour concevoir différents scénarios d’adaptation des éleveurs au changement climatique. Les scénarios envisagés mobiliseront différents leviers tels que la période de pâturage, l’allotement et l’implantation de cultures fourragères. Un modèle de simulation permettra aux partenaires du projet de tester l’impact de différentes stratégies d’adaptation sur les performances des systèmes d’élevage concernés, en fonction des contextes d’étude.

Le projet LiveAdapt (Life 2018-2022) est également un projet européen associant des partenaires espagnols, portugais et français autour de l’adaptation au changement climatique. Dans ce cadre, des fiches techniques de présentation de leviers d’adaptation sont en cours de rédaction. Une enquête en ligne visant à recueillir la perception du changement climatique et les mesures d’adaptation mises en oeuvre est ouverte dans les trois pays. En France, des entretiens menés avec une vingtaine d’éleveurs ovins viande du Sud-Ouest (Tarn et Lot principalement) en 2020 ont montré que les éleveurs mobilisent déjà de nombreux leviers, en matière de gestion des surfaces fourragères ou de conduite du troupeau. Des ateliers menés avec des éleveurs pastoraux du Larzac autour de l’outil Rami pastoral ont mis en avant la complémentarité des différents types de ressources fourragères et l’importance d’une bonne gestion de ces ressources au fil de l’année.

Même si le changement climatique a et aura un impact non négligeable sur les ressources naturelles et sur l’agriculture en particulier, les éleveurs d’Occitanie sont déjà habitués à composer avec un climat changeant. Ceux qui mobilisent des surfaces pastorales, avec des ressources alimentaires disponibles et accessibles uniquement à certains endroits et à certains moments de l’année (estives par exemple), sont par nature en perpétuelle adaptation face aux changements de leur environnement. Les savoir-faire de ces éleveurs pour mobiliser une diversité de ressources, à la fois spontanées et cultivées, leur permet de s’adapter aux changements et aléas climatiques, passés et à venir.

Figure 8.3. Effets du changement climatique sur les animaux et les ressources alimentaires composant les systèmes d’élevage.
(Source : Idele d’après BC3, projet iSAGE)