La contribution des démarches participatives

Nina GRAVELINE (INRAE – Innovation), Jean-Marc TOUZARD (INRAE – Innovation)

Les leviers pour l’adaptation au changement climatique de la viticulture et ses filières peuvent être initiés puis portés par des acteurs à des échelles d’action différentes, depuis les choix techniques du viticulteur sur sa parcelle, jusqu’à l’évolution de la réglementation au niveau national ou aux stratégies marketing des distributeurs du vin (Ollat et al., 2015). Mais l’échelle du territoire, en particulier local ou régional, ressort comme particulièrement stratégique, appelant au développement de nouvelles démarches participatives.

Construire de nouvelles stratégies territoriales pour la viticulture

Plante pérenne dont la qualité des fruits (puis du vin) est très sensible à des conditions locales, la vigne s’est historiquement ancrée dans des territoires où se sont construits des savoirs et pratiques adaptés à chaque situation. Ces « terroirs » sont devenus des marqueurs de la qualité du vin, reconnus par les consommateurs et institutionnalisés pour la régulation économique du secteur (Appellations d’Origine Contrôlée, interprofessions régionales…).

Le changement climatique vient bouleverser cet ancrage territorial de la viticulture et des vins : ses impacts, différenciés selon les régions, modifient les rendements et les qualités des vins, remettent en cause la hiérarchie entre appellations, et affectent les paysages qui comptent aussi pour l’image des vins. Les réponses adaptatives des viticulteurs changent aussi les « liens au terroir » par l’introduction de nouveaux cépages et pratiques, ou la relocalisation de vignes parfois en dehors des aires d’appellation.

Aux échelles locale et régionale, de nouvelles actions collectives sont donc mises en oeuvre pour accompagner l’adaptation au changement climatique, à partir d’organisations viticoles existantes (en particulier les organismes de gestion des appellations), mais aussi d’initiatives multi- acteurs plus originales. Ces initiatives répondent à un besoin accru de partage de connaissances, de coordination entre nouvelles actions individuelles et de négociations accrues avec d’autres acteurs impliqués dans la gestion de ressources stratégiques pour la viticulture (sols, eau, paysages…) (Delay et al., 2015).

L’enjeu est de construire de nouvelles relations entre la viticulture, ses vins et ses territoires, en développant des méthodes prenant en compte la diversité des leviers d’adaptation et en s’ouvrant à de nouveaux acteurs.

Intérêt et pluralité des démarches participatives pour l’adaptation

Dans ce contexte, les démarches participatives offrent plusieurs intérêts, en permettant de répondre à des objectifs tels que :

  • accéder à des données plus nombreuses, dans des domaines multiples liés au changement climatique ;
  • mieux prendre en compte des conditions locales d’adoption d’innovation pour l’adaptation ;
  • construire une vision commune et favoriser la prise de conscience ;
  • élargir les connaissances pour construire des stratégies plus complexes et explorer des options plus radicales ;
  • construire des liens, favoriser la cohésion et la légitimité d’agir, enrôler des acteurs liés à l’usage de ressources territoriales ;
  • imaginer des projets concrets et les initier dans le territoire ;
  • évaluer des mesures ou stratégies.

Les démarches participatives engagées dans les vignobles d’Occitanie prennent des formes diverses, selon leurs initiateurs (organisation viticole, collectivité, recherche…), le niveau d’ouverture hors du monde viticole, le degré de participation (consultation, concertation, co-décision) ou les dispositifs et méthodes utilisés (ateliers, focus group, forum, open lab…).

Les chercheurs du projet LACCAVE et leurs partenaires se sont ainsi engagés dans les démarches participatives suivantes :

  • des réseaux d’observation sur le vignoble (cépage, pratiques, climat, états du vignoble…) associés à des démarches de « sciences participatives » ou d’expérimentation ;
  • des ateliers participatifs ciblés sur les viticulteurs pour identifier et évaluer des mesures d’adaptation à l’échelle d’une coopérative, d’une appellation ou d’un projet de recherche (cf texte 3.2) ;
  • des living labs visant à suivre à plus long terme la mise au point d’innovations, à l’image du projet OCCITANUM testant des solutions numériques pour l’adaptation ;
  • des démarches de concertation organisées par une collectivité territoriale pour l’élaboration de son plan climat territorial (PCAET) ;
  • des forum territoriaux à l’échelle d’un bassin viticole ou de la région (cf texte 3.4) pour que les viticulteurs, l’état, les collectivités, et la recherche puissent coordonner leurs actions d’adaptation et d’atténuation ;
  • des événements créatifs locaux visant à favoriser l’émergence et la mise en oeuvre de solutions, à l’image des Climathons (cf infra).

L’exemple des « Climathons » dans des communes viticoles

Une initiative originale testée par INRAE en Occitanie est l’organisation de Climathons dans les territoires viticoles. Le Climathon est un ideathon formalisé et promu par la Climate KIC ; initialement pensé pour les villes, nous les avons adaptés à des territoires ruraux et viticoles. Cet événement vise à rassembler pendant 24 h un public très large (viticulteurs, chercheurs, étudiants, élus, représentants d’associations, habitants…) pour imaginer et faire émerger des projets pour l’adaptation au changement climatique à l’échelle d’une commune.

Les Climathons organisés à Murviel-les-Montpellier et à Montpeyroux dans l’Hérault ont suivi une même démarche en 6 étapes, ponctuée de temps de convivialité :

  • présentation et partage des enjeux locaux du changement climatique ;
  • large exploration de solutions (animation de type World Café) ;
  • construction d’un « cep des solutions » pour organiser les solutions, puis faire voter celles qui seront développées par des groupes ;
  • première ébauche des projets par groupe, présentés en « pitch » de quelques minutes ;
  • visite chez des viticulteurs pour mettre à l’épreuve la première mouture de chaque projet ;
  • développement de chaque projet, présentation finale, vote et remise des prix…

A Murviel comme à Montpeyroux certains projets issus du Climathon paraissent assez classiques, comme le développement de « systèmes d’irrigation responsable » ou de « parcelles expérimentales sur les cépages et pratiques », mais ils sont conçus, puis portés par une diversité d’acteurs locaux. D’autres projets sont plus originaux et impulsés par des acteurs non viticoles comme une « certification climatique locale », la création d’une « Agora des savoirs », la « diversification culturale » ou l’installation d’une « écurie vigneronne ».

Les impacts des Climathons sont notables : au-delà de nouvelles idées partagées et de retours médiatiques, on peut noter par exemple à Murviel la constitution d’un GIEE « vigne, sol et climat », le lancement de projets concrets (introduction de l’élevage, Agora, parcelle expérimentale…), mais aussi la diffusion de la démarche vers d’autres territoires viticoles (Cabrière en octobre 2021) ou dans des événements plus importants (Salon SITEVI 2021 sur la gestion des risques climatiques).

Parmi les enseignements on peut retenir que réunir les acteurs d’un territoire autour d’enjeux communs a beaucoup de valeur en soi, amenant à considérer l’enjeu climatique dans ses relations avec les autres enjeux (transition agro-écologique, économiques, sociaux) auquel fait face la filière et ses territoires. Le choix des participants, la clarté de la communication, un langage commun, le choix des outils d’animation, le temps et les compétences investis sont des facteurs de réussite de ces démarches participatives.

Par ailleurs, les travaux participatifs visant l’évaluation semblent plus pertinents pour traiter certaines adaptations pour des raisons d’échelle spatiale et de positionnement stratégique des acteurs. La complémentarité doit donc être recherchée entre plusieurs démarches, et avec des plateformes collaboratives comme www.vineas.net qui couvre l’échelle Méditerranéenne, particulièrement pertinente pour le vignoble Languedocien.

Figure 8.10. Les six équipes dans l’élaboration des solutions lors du Climathon de Murviel-lès-Montpellier.
(Source : J.-M. Touzard, 2018 )