Nicolas MÉTAYER (Solagro), Sylvain DOUBLET (Solagro)
Solagro est une association au service des transitions énergétique, agroécologique et alimentaire.
Risques climatiques à venir, indicateurs et mesures d’adaptation
Avec trois partenaires européens (Bodensee Stiftung, Fundacion Global Nature et Eesti Maaülikool -Estonian University of Life Sciences), Solagro a développé une plateforme web en libre accès pour permettre aux acteurs agricoles de renforcer leurs connaissances en matière de vulnérabilité et d’adaptation au changement climatique. Dans le cadre du projet LIFE AgriAdapt, 126 fermes pilotes ont été étudiées en Europe, dont 34 en France et 15 en Occitanie.
L’Occitanie, comme la partie méditerranéenne de l’Europe, est soumise à des problématiques de baisse de la disponibilité en eau, de la durée du cycle cultural et des rendements et de diminution des zones favorables aux cultures. Elle est impactée par une hausse des risques de sécheresse et d’érosion des sols. Les indicateurs utilisés pour mesurer ces changements intègrent notamment des données agronomiques (relatives aux rendements) et climatiques (à partir d’observations sur les 30 années passées et de projections pour les 30 années à venir). Sur cette base, des mesures d’adaptation ont été proposées à plus ou moins court terme (figure 8.4).
Le cas d’une ferme d’élevage dans le Tarn
Solagro a étudié le cas d’une ferme d’élevage avec 240 vaches laitières et 80 vaches à viande. Cette exploitation possède 360 ha, dont 145 ha consacrés aux prairies permanentes, le reste des surfaces étant consacré au maïs ensilage irrigué, méteil, blé tendre et prairies temporaires. 170 000 m3 d’eau par an sont déjà utilisés pour l’irrigation. L’autosuffisance en fourrages est assurée mais le stress hydrique menace de diminuer à terme la quantité de biomasse produite. Enfin, cette ferme d’élevage a récemment mis en place une unité de méthanisation. Les projections climatiques à l’horizon 2035 indiquent une baisse des précipitations (-6 % par an, -66 mm en été), une augmentation des températures, un déficit en eau plus élevé (+24 %) et un doublement du nombre de vagues de chaleur.
Pour minimiser les impacts du changement climatique, des mesures d’adaptation sont possibles :
- réduire ou supprimer progressivement le cheptel bovin viande pour sécuriser les besoins en fourrage des vaches laitières ;
- optimiser l’utilisation des digestats comme fertilisant et diversifier les revenus de la ferme par la vente d’énergie via l’unité de méthanisation. Les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE) permettent également d’éviter les sols nus, les protégeant de l’érosion et améliorant leur fertilité (stockage additionnel de carbone) ;
- introduire progressivement du sorgho fourrager en substitution au maïs ensilage irrigué. Les économies d’eau d’irrigation peuvent permettre de couvrir les besoins en eau des cultures céréalières, pour sécuriser les niveaux de rendement et limiter la dépendance vis-à-vis des achats extérieurs ;
- substituer une partie du blé tendre par du méteil, pour une alimentation du troupeau plus riche en protéines ;
- améliorer le confort thermique des vaches dans les bâtiments (brasseurs d’air, ventilateurs, systèmes de brumisateurs), pour réduire l’impact des vagues de chaleur estivales sur les animaux, et ainsi limiter les pertes de lait et la baisse de fertilité.
Le projet LIFE AgriAdapt s’inscrit dans des enjeux de long terme. La méthodologie mise en place permet, sur la base d’indicateurs locaux, d’envisager une multiplicité de pistes d’adaptation. L’ensemble des co-bénéfices (sociaux, économiques, environnementaux) liés à leur mise en oeuvre sont pris en compte. L’adaptation est un mouvement continu, les pratiques doivent être réinterrogées régulièrement. Avec l’ensemble des ressources et outils en libre accès, Solagro participe à la diffusion et au partage de ces enseignements auprès des conseillers agricoles et des agriculteurs.

Figure 8.4. Principaux risques climatiques pour l’agriculture européenne.
(Source : Solagro, 2020 – projet LIFE AgriAdapt)
Croiser les connaissances pour concevoir collectivement des solutions d’adaptation au changement climatique
Aurélie MADRID (IDELE)
Face au changement climatique qui affecte les animaux directement mais également la disponibilité des ressources alimentaires, la nécessaire adaptation des systèmes d’élevage et de polyculture-élevage passe par la mise en relation de divers domaines de connaissances (climatiques, agronomiques, zootechniques…) croisés avec l’expérience des éleveurs.
Une première étape consiste à se rendre compte des changements passés et à « savoir de quoi le futur sera fait ». La mise en évidence des évolutions climatiques observées et les résultats des travaux de projection menés par la communauté climatique sont des ressources précieuses sur lesquelles se construisent plusieurs outils et projets, tels que ceux des Chambres d’agriculture (Oracle et ClimA-XXI). Les données issues de ces travaux sont souvent valorisées sous forme d’indicateurs, permettant d’évaluer les impacts des évolutions climatiques sur les plantes ou les animaux.
Par exemple, il est possible de suivre l’évolution de la date d’atteinte du stade floraison (pour une culture) ou de la date de mise à l’herbe (pour une prairie) ou encore l’évolution du nombre de jours de stress thermique (pour les animaux d’élevage). Ces indicateurs peuvent être calculés sur des données historiques ou des données projetées. Ils ne permettent cependant pas de mettre en évidence l’effet cumulé de plusieurs paramètres climatiques.
Les travaux autour de la résilience des espèces végétales et animales face au changement climatique (cf. partie 1) viennent également alimenter la réflexion collective. Il s’agit de mieux comprendre comment les évolutions du climat affectent les différentes composantes des systèmes d’élevage, afin d’identifier les voies d’adaptation possibles. Les outils de modélisation peuvent alors venir en renfort pour évaluer l’impact du changement climatique (ou l’impact d’aléas climatiques), notamment en simulant la croissance des prairies et cultures fourragères dans le climat attendu pour le futur, grâce à des modèles de cultures.
Sur le terrain, agriculteurs et éleveurs expérimentent année après année de nouvelles conditions climatiques. Face à cela, ils adaptent leurs systèmes fourragers mais également la conduite de leurs troupeaux et confrontent ainsi l’adaptation au changement climatique aux nombreux autres enjeux auxquels font face les élevages et les filières. Par exemple, 22 éleveurs ovins viande du Sud-Ouest témoignent de l’adaptation de leurs pratiques au changement climatique dans le cadre du projet Life LiveAdapt, travail par ailleurs similaire en cours côté Sud-Est dans le cadre du projet AdaptHerd.
Des outils pour faciliter l’échange entre différents acteurs
Le projet Climalait, mené à l’échelle d’une vingtaine de petites régions françaises, dont les coteaux du Tarn pour la région Occitanie, s’est appuyé sur ces différentes compétences pour travailler collectivement sur l’adaptation des systèmes laitiers face au changement climatique. Dans chaque zone, les données issues des modèles de climat ont permis de visualiser les futurs possibles et d’alimenter un modèle de culture (STICS) afin d’évaluer leurs conséquences sur les prairies et cultures fourragères. Ces résultats étaient ensuite intégrés dans un jeu de plateau associé à un module informatique, le Rami fourrager®, qui servait de support à une réflexion entre éleveurs et conseillers sur l’adaptation des systèmes laitiers face au changement climatique.
Pour les systèmes pastoraux, un Rami pastoral existe également, qui permet notamment de confronter un système d’élevage valorisant des ressources pastorales à des aléas climatiques saisonniers (baisse de production fourragère sur une ou plusieurs saisons ou décalage des dates de début et/ou fin de ces « saisons »). Le système étudié était constitué de 50 vaches sur 100 ha (dont 48 ha de surfaces dédiées à l’alimentation du troupeau). Il a été adapté à un futur moyen puis confronté à une succession d’aléas climatiques (printemps pluvieux suivi d’une forte sécheresse estivale).
Différents leviers ont été évoqués par les participants : luzerne, cultures intermédiaires et cultures à double fin (grain ou ensilage) sur le plan fourrager ; ajustement des périodes de mise bas, adaptation de la génétique du troupeau et adaptation des bâtiments sur le plan du troupeau.

Photo. Bergère salariée conduisant un troupeau de brebis sur des parcours boisés soumis au risque d’incendie.
(Source : M. Meuret)