Vignobles méditerranéens : de l’évaluation locale du changement climatique à l’identification de leviers d’adaptation

Audrey NAULLEAU (INRAE – ABSys), Laure HOSSARD (INRAE – Innovation), Christian GARY (INRAE – ABSys), Laurent PRÉVOT (INRAE – LISAH)

La caractérisation des impacts du changement climatique sur le cycle de la vigne, la quantité et la qualité des rendements viticoles fournit des informations importantes pour anticiper ce changement (Ollat et Touzard, 2014). De nombreux leviers d’adaptations sont proposés et sont inclus pour certains dans les politiques publiques : en 2018, le département de l’Hérault vote un schéma d’irrigation ; en 2019 l’AOP Languedoc inscrit à son cahier des charges des cépages expérimentaux tolérants à la chaleur et à la sécheresse ; en 2021 l’Etat lance le programme « Plantons des haies », etc.

La difficulté actuelle consiste à évaluer les effets d’une articulation spatiale de ces leviers en intégrant la diversité des contextes pédoclimatiques et socio-économiques à une échelle locale (types de sols, types de production, accès à l’irrigation, etc.).

Notre démarche est de mettre au service des acteurs d’un petit territoire viticole, des outils de modélisation disponibles au sein de la recherche, afin de simuler l’impact du changement climatique dans un contexte donné, ainsi que l’effet de différentes stratégies d’adaptation.

Pour réaliser notre étude, nous avons choisi le bassin versant du Rieutort (1500 ha de vignes, figure 8.9) situé au nord de Béziers. Nous y mobilisons des acteurs d’horizons divers : syndicats d’AOP, représentants de la cave coopérative, syndicat mixte d’animation du bassin, conseillers de la Chambre d’Agriculture, et viticulteurs.

En parallèle nous mobilisons un certain nombre d’experts de cette question (Chambre d’Agriculture de l’Hérault, Institut Français de la Vigne et du vin, AOP Languedoc, Conseil départemental, INRAE).

Après avoir décrit les contextes pédoclimatiques et les pratiques viticoles associées au sein du territoire étudié, nous utilisons les projections climatiques fournies par Météo-France pour simuler l’impact de ces futures conditions climatiques sur la phénologie, la contrainte hydrique et le rendement de la vigne, selon deux scénarios climatiques (+2 °C, +5 °C), aux horizons 2050 et 2100 (GIEC, 2014).

Les résultats montrent que le cycle de la vigne est avancé de 10 jours à l’horizon 2050 jusqu’à 23 jours à l’horizon 2100 avec une avancée plus marquée sur les reliefs au nord du bassin versant, du fait d’un encépagement plus tardif et d’une augmentation plus importante des températures. Ce décalage amène le raisin à mûrir dans des conditions chaudes très différentes des conditions actuelles. Les rendements des zones en IGP subissent une baisse plus importante que les rendements en AOP, d’une part du fait d’un potentiel de rendement actuellement élevé et d’une pluviométrie annuelle inférieure à 550 mm.

Enfin, les parcelles actuellement irriguées (10 % des surfaces) voient leurs besoins en eau d’irrigation multipliés par 1,7 en 2050 et jusqu’à 2,2 en 2100 pour maintenir des rendements de 90 hl/ha en IGP. A l’échelle du bassin versant, nous estimons une perte de production de l’ordre de 10 % à l’horizon 2050 et de 14 % à l’horizon 2100. Une première stratégie visant à augmenter les surfaces irriguées jusqu’à 30 % du bassin viticole n’entraine qu’une réduction de 2 % de la baisse de production attendue à l’échelle de ce bassin.

Les modèles utilisés dans cette étude ne permettent pas de prendre en compte l’intégralité des processus et des leviers pour l’adaptation au changement climatique (effets microclimatiques, tolérance des cépages à la sécheresse, qualité des sols, etc.). Cependant, la confrontation de ces résultats avec les acteurs a permis d’identifier, localement, quelques leviers d’adaptation :

  1. L’augmentation de l’efficience de l’eau dans les zones irriguées (adéquation besoin/apport, limitation de la vigueur de la vigne, enherbement) ;
  2. Le maintien d’un haut niveau de valorisation économique dans les zones AOP pour assurer la pérennité malgré un maintien de faibles rendements ;
  3. L’importance de mobiliser des leviers à la plantation des vignes pour veiller à l’adéquation matériel végétal/parcelle, un enracinement profond (technique de greffe, enherbement, limitation du tassement), et favoriser un microclimat moins chaud (orientation des rangs, ombrage, haies).

Figure 8.9. Impacts du changement climatique (scenario +5 °C) sur le vignoble du bassin versant du Rieutort (en gris). Les dates de vendanges, les températures moyennes pendant la maturation des baies, les rendements potentiels et les besoins en irrigation sont calculés sur des périodes de 30 ans.
(Source : A. Naulleau, 2021 – carte élaborée pour le CROCC_2021)

Encadré 1.A. VINEAS, la plateforme collaborative pour la vigne, le vin et le changement climatique

VINEAS.net est une plateforme collaborative qui rassemble acteurs et projets et permet de partager des connaissances et des solutions. Elle a pour objectif de faciliter la production et le partage des connaissances nécessaires pour faire face au changement climatique avec six catégories de données :

  • Identifier les acteurs engagés sur ces enjeux et mettre en valeur vos projets ;
  • Être visible en tant que membre actif de la plateforme ;
  • Naviguer et contribuer à la diversité des solutions et leviers face au changement climatique ;
  • Explorer tous les documents (de la littérature scientifique aux vidéos / rediffusions d’événements) qui fournissent une base de connaissances importante allant de l’expertise locale à la recherche ;
  • Informer et s’informer des dernières actualités sur le sujet ;
  • Donner de la visibilité et être sûr d’être informé de tous les événements organisés autour de ces défis ;
  • Poster vos questions, idées, demandes d’échange d’expériences, etc. dans une agora où les autres utilisateurs pourront vous répondre.

VINEAS est développée dans le cadre du projet MEDCLIV, MEDiterranean Climate Vine & Wine Ecosystem. Ce projet vise à développer un écosystème d’innovation permettant d’expérimenter des approches participatives pour aider à la conception et aux partages de stratégies d’adaptation pour la filière vigne et vin Méditerranéenne face au changement climatique et inciter à l’action collective. Cet écosystème repose sur l’organisation d’évènements participatifs et une plateforme Internet. Durée : trois ans à partir d’octobre 2019.

Six pays impliqués : Italie, France, Portugal, Chypre, Slovénie, Espagne. Financement par la Climate-KIC : association dépendant de la Commission Européenne qui vise à financer et accompagner des projets sur le changement climatique.