Adaptation au changement climatique pour la vigne et le vin : une approche interdisciplinaire et participative

Jean-Marc TOUZARD (INRAE – Innovation), Nathalie OLLAT (INRAE – EGFV)

Avec près de 250 000 ha de vigne, 2 milliards de chiffre d’affaires et 20 000 producteurs dont 2500 qui vinifient directement leur raisin, la viticulture conserve en 2021 une place économique et sociale importante en Occitanie. Mais cette activité est très marquée par le changement climatique, dont elle est un témoin précurseur, poussant ses acteurs à expérimenter de nombreuses solutions pour s’adapter. Le projet LACCAVE (Ollat et Touzard, 2014) étudie depuis 2012 les options d’adaptation pour les vignobles français, et en particulier dans la région Occitanie. Il rassemble une centaine de chercheurs et d’étudiants de différentes disciplines (climatologie, génétique, agronomie, oenologie, géographie, économie…) et s’est appuyé progressivement sur des méthodes participatives.

Des impacts qui menacent la pérennité du vignoble languedocien

Les impacts du changement climatique sur les vignobles d’Occitanie sont multiples, s’accentuent et peuvent se combiner différemment selon les années (Ollat et al., 2016) :

  • les stades de développement de la vigne sont plus précoces, depuis le débourrement (induisant une vulnérabilité plus forte aux gels tardifs), jusqu’à la maturité des raisins et donc leur récolte (démarrage dernières semaines d’août contre mi-septembre avant les années 80). Cette précocité amplifie l’augmentation de température lors des vendanges, avec des risques accrus d’altération des moûts ;
  • le bilan hydrique diminue sur la période végétative des vignes (évapotranspiration plus forte, pluviométrie plus faible). Il est ainsi négatif depuis 2000 sur la plaine littorale avec des conséquences sur les rendements ou la composition des baies (Ojeda et Saurin, 2014) ;
  • les caractéristiques des raisins et vins se modifient. Le taux d’alcool augmente (de 11° à 14° en moyenne depuis les années 80), l’acidité baisse, les profils aromatiques évoluent, des pertes de couleur (anthocyanes) sont repérées sur les vins rouges ;
  • l’intensité accrue d’événements extrêmes accentue les risques de perte de récolte, voire de destruction de vignes (notamment jeunes plants, plus sensibles). Cela a été le cas lors de la vague de chaleur de 2019 (Pret et al., 2021), de la gelée du 8 avril 2021 ou de pluies torrentielles ;
  • d’autres effets sont aussi mentionnés : bioagresseurs (mildiou) favorisés les années chaudes et humides, salinisation de sols viticoles en bordure du littoral, et surtout risques accrus d’incendies et modification de paysages pouvant affecter l’écosystème cultivé et les images associées à la qualité du vin.

Ces effets accentuent les contraintes pour produire du raisin et du vin en zone méditerranéenne avec des conséquences économiques globalement négatives pour les entreprises : baisses de production, modifications de qualité du vin en déphasage avec la demande, risques économiques accrus.

Des leviers d’adaptation testés chez les viticulteurs ou par la recherche

Pour autant des solutions techniques ou organisationnelles sont possibles, expérimentées et mises en oeuvre pour faire face à ces impacts :

  • renouveler et diversifier l’encépagement avec des variétés plus tardives, résistantes à des températures plus élevées et à la sécheresse, produisant moins de sucre et plus d’acidité, et si possibles résistantes aux maladies… Les options, engagées et objet d’évaluations, concernent des variétés anciennes, des cépages d’autres régions méditerranéennes ou des créations variétales (Wolkovich et al., 2018) ;
  • modifier les pratiques culturales, à la fois au niveau de la gestion du sol (amendement de matière organique pour renforcer la réserve utile en eau, travail du sol favorisant la pénétration de l’eau, couvert limitant l’évaporation…), de la gestion de la canopée (hauteur, forme et volume du feuillage favorisant l’ombrage et limitant le besoin en eau, taille plus tardive…), ou d’une modification plus radicale de l’agrosystème (plantation raisonnée d’arbres pouvant tamponner le climat) ;
  • développer l’irrigation de précision pour piloter l’état hydrique de la vigne. L’option mise en avant par les organisations viticoles ne peut toutefois concerner qu’un nombre limité d’hectares en Occitanie, et suppose des pratiques économes en eau, prenant en compte la durabilité de la ressource (Graveline et Grémont, 2021) ;
  • adopter de nouvelles techniques oenologiques pour corriger après récolte certains effets du changement climatique sur la composition des raisins.

Cela concerne la désalcoolisation (techniques par membrane), l’ajustement du Ph (électrodialyse…), le choix de levures à plus faible rendement en éthanol ou un meilleur contrôle de la température ;

  • relocaliser les vignes sur des parcelles moins exposées au soleil, avec des sols plus profonds, ou plus en altitude pour gagner en fraicheur. Ces stratégies sont observables par exemple sur les terrasses du Larzac ou à Banyuls (Delay et al., 2015). L’adaptation des vignobles dans l’espace concerne aussi les choix de densité de plantation, la gestion des terrasses, du bassin versant ou du paysage ;
  • développer de nouveaux services d’assurance, mais aussi renforcer les systèmes d’information et d’alerte climatique, favoriser le conseil et la prévention (règles de décision, équipements) pour réduire les risques ;
  • faire évoluer les cahiers des charges des appellations (introduction de nouveaux cépages et pratiques) et, plus largement, les organisations et politiques viticoles pour favoriser innovations et partages d’expérience (Boyer et Touzard, 2021).

Co-construire des stratégies d’adaptation à plusieurs échelles

Au-delà d’une analyse de ces différents leviers d’adaptation, les travaux du projet LACCAVE ont rapidement montré que l’enjeu était de concevoir et d’étudier leurs combinaisons possibles dans des stratégies d’adaptation pouvant se construire à différentes échelles d’action.

Les chercheurs se sont pour cela engagés dans des travaux systémiques, mobilisant des démarches participatives et ouvertes, impliquant une diversité d’acteurs concernés par l’évolution des vignobles d’Occitanie.

Ces démarches se sont déployées à des échelles locales pour explorer de nouveaux systèmes viticoles (voir texte 3.2) ou faire émerger des solutions partagées (voir texte 3.3), et des stratégies pour la filière aux échelles régionales et nationales (voir texte 3.4).

Figure 8.8. Schéma impacts et adaptation pour la vigne et le vin.
(Source : N. Ollat et J.-M. Touzard, 2014)