Une démarche de prospective pour construire des stratégies d’adaptation à l’échelle régionale et nationale

Hervé HANNIN (AGRO – MOISA), Jean-Marc TOUZARD (INRAE – Innovation)

Dans le cadre du projet LACCAVE, un exercice de prospective a été réalisé en 2014 et 2015 pour identifier des scénarios d’adaptation de la viticulture française à l’horizon 2050, développer une vision commune et de nouvelles collaborations entre chercheurs et professionnels. De manière originale, l’exercice a été utilisé entre 2016 et 2018 pour animer des forums participatifs dans sept régions viticoles, dont l’Occitanie, et formuler des propositions d’action. Celles-ci ont ensuite été reprises pour élaborer la stratégie nationale d’adaptation du secteur, présentée au Ministre en 2021.

Un premier exercice de prospective pour la viticulture française en 2050

Dans le cadre du projet LACCAVE, le groupe à l’origine de la démarche, constitué de chercheurs et d’experts associés, a d’abord élaboré quatre scénarios d’adaptation, en prenant comme hypothèse de travail un scénario climatique médian du GIEC, et en combinant deux dimensions de l’adaptation : les choix de localisation des vignes et l’ampleur de l’innovation technologique. Ces scénarios ont été précisés et décrits sous forme de récits publiés et médiatisés dans le contexte de la COP21 (Aigrain et al., 2016). Ont été ainsi distinguées : 1) une stratégie « conservatrice » où les changements technologiques et géographiques sont limités ; 2) une stratégie « nomade » où le déplacement des vignes est le principal vecteur d’adaptation ; 3) une stratégie « innovante » où l’intégration des innovations permet le maintien des vignobles dans leurs localisations actuelles ; et 4) une stratégie « libérale » largement ouverte à toutes sortes de changements.

Un forum régional sur la viticulture d’Occitanie dans le contexte du changement climatique

Le groupe « prospective » de LACCAVE a ensuite organisé des forums dans les principaux vignobles français pour échanger sur « l’avenir de la viticulture dans le contexte du changement climatique », en partant de la prospective initiale. Il a réalisé l’un de ces forums le 22 novembre 2017, au Mas de Saporta près de Montpellier, avec l’appui des organisations viticoles régionales. La journée a réuni 105 participants (viticulteurs, négociants, ingénieurs ou techniciens R&D, scientifiques…), répartis en douze groupes de travail munis de tablettes numériques. La journée s’est organisée en cinq séquences :

  • un temps de partage de connaissances sur les impacts et adaptations possibles ;
  • une présentation des 4 scénarios élaborés par le projet LACCAVE ;
  • un travail par table pour préciser enjeux et conséquences de chaque scénario en Occitanie ;
  • un vote individuel exprimant l’attitude stratégique au regard de chaque scénario ;
  • le recueil de propositions d’actions pour favoriser ou défavoriser chaque scénario.

Les participants ont globalement perçu le changement climatique comme une menace immédiate, et mis l’accent sur des stratégies qui s’appuient sur l’irrigation, le renouvellement du matériel végétal et des pratiques culturales, avec des options différentes selon chaque scénario, mais le repérage de difficultés économiques en raison soit de pertes de compétitivité (scénario conservateur), soit d’une augmentation des coûts de production (scénario innovant). Les attitudes stratégiques sont apparues convergentes : 82 % des participants ont exprimé une volonté de favoriser le scénario innovant et 24 % le conservateur ; 40 % ont considéré qu’il faut se préparer au scénario nomade et 50 % qu’il faut agir dès aujourd’hui pour éviter le chemin libéral. Au final, 327 propositions ont été recueillies, avant tout pour favoriser le scenario innovant, avec la volonté d’améliorer deux voies : d’une part autour des IGP et de l’irrigation, d’autre part autour de l’agroécologie associée à de nouvelles technologies sur les coteaux en sec (Hannin et al., 2020). Les résultats ont été repris par les organisations régionales pour définir leur stratégie, en particulier l’appellation Languedoc, l’IGP Oc et la Chambre régionale d’agriculture.

Une démarche répliquée dans d’autres régions et débouchant sur une stratégie nationale d’adaptation

Cette démarche a été dupliquée dans les 7 grands vignobles français, donnant lieu à des séminaires structurés et animés à l’identique entre novembre 2016 et février 2018. Les votes et les propositions d’action recueillies ont été analysés et comparés. Des différences ont été enregistrées entre les vignobles régionaux, quant à l’impact du changement climatique et aux mesures préconisées, mais une convergence se fait jour pour favoriser le scénario « innovant » afin de conserver globalement la localisation géographique des vignobles actuels grâce à l’introduction de nouveaux progrès techniques (Touzard et al., 2020).

Rapidement, cette démarche multi-régionale s’est doublée d’un accompagnement par le projet LACCAVE des organisations vitivinicoles nationales à travers un groupe de travail créé à l’initiative des responsables de FranceAgriMer et de l’Institution national de l’orginie et de la qualité (INAO). Les travaux scientifiques, les conclusions des ateliers régionaux de prospective et les 2700 leviers d’action identifiés, ont ainsi été diffusés et analysés pour co-construire une stratégie pour le secteur.

Les responsables professionnels ont choisi, conformément aux ateliers régionaux, de favoriser un scénario basé sur l’innovation, afin de préserver les fondements du modèle français. Ils ont alors proposé de consulter de nouveau les acteurs des instances viticoles régionales (Comités Régionaux INAO et Conseils de bassin), pour préciser cette fois les actions engagées ou souhaitées, selon un cadre d’actions en huit domaines : la connaissance des terroirs et de la localisation des vignobles, les conditions de production, le matériel végétal, les « process » de vinification, le marketing, le soutien à la R&D, l’atténuation (réduction des émissions de gaz à effet de serre), la formation-communication-information.

Cette consultation, analysée par le groupe de prospective de LACCAVE (Aigrain et al., 2021), a été organisée par un groupe plus politique qui s’est chargé ensuite de la rédaction finale du plan stratégique, présenté au Ministre de l’Agriculture le 26 août 2021. Cette « stratégie nationale d’adaptation » s’appuie donc sur les travaux de LACCAVE pour organiser les demandes du secteur en termes de R&D et anticiper les besoins d’évolution réglementaire face au changement climatique. La démarche a aussi été présentée au plan international notamment dans le cadre de l’OIV (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin). Elle fait aussi figure d’exemple très observé par d’autres secteurs (contributions aux travaux de l’ADEME ou de l’ONERC par exemple).

Figure 8.10. Les discussions par table lors du Forum pour la viticulture du Languedoc face au changement climatique, Mas de Saporta, 22/11/2017.
(Source : J.-M. Touzard)