Comprendre et améliorer la tolérance à la sécheresse des grandes cultures en Occitanie

La variété du futur, tolérante à la sécheresse ? Un ensemble de variétés adaptées aux scénarios de sécheresse locaux

Boris PARENT (INRAE – LEPSE), Claude WELCKER (INRAE – LEPSE), François TARDIEU (INRAE – LEPSE)

UNE ou DES tolérance(s) à la sécheresse ?

Le changement climatique augmente la fréquence des épisodes de sècheresse du sol, souvent combinés à de fortes températures et une forte demande évaporative. La sélection variétale a été jusque-là efficace, avec des progressions observées de l’ordre de +1 % de rendement par an chez la plupart des grandes cultures, même pour des conditions de sécheresse. Cependant, chez la plupart des céréales, on observe une stabilisation des rendements en France et à l’échelle européenne depuis 2010 ainsi qu’une augmentation des oscillations interannuelles de la production agricole, principalement dû à la multiplicité des scénarios de sécheresses. Il est donc urgent de développer rapidement de nouvelles variétés plus économes en eau adaptées aux spécificités agronomiques et climatiques locales.

Répondre à ce besoin est pourtant loin d’être élémentaire. En effet, le changement climatique a tendance à faire fortement varier la performance relative d’une variété par rapport à une autre. Il en résulte qu’il est très difficile de préjuger quelle combinaison de traits physiologiques (caractéristiques génétiques qui caractérisent une variété) sera la plus bénéfique dans tel ou tel environnement, tant ces traits interagissent entre eux. Par exemple, en cas de sécheresse importante, chaque millimètre d’eau économisé pendant les stades précoces du développement de la culture permet d’obtenir un état hydrique du sol plus favorable pendant les stades plus tardifs et très sensibles que sont la floraison et le remplissage du grain.

A l’opposé, en cas de sècheresse modérée, une forte réduction de photosynthèse accompagnant une réduction de la transpiration des plantes ne sera pas compensée pendant le cycle cultural, aboutissant à une faible production de grains. Ainsi, la meilleure variété observée dans un environnement peut être un très mauvais choix dans un scenario de sècheresse différent. Dans le contexte de changement climatique et d’oscillations des performances relatives des variétés, il est donc essentiel d’identifier « où et quand » une combinaison donnée de caractéristiques génétiques peut octroyer de meilleurs rendements.

Des modèles mathématiques pour prédire les performances des variétés présentes et futures

Une approche purement expérimentale, au champ, ne peut pas explorer les conséquences sur le rendement de chaque combinaison de caractères physiologiques dans toute la diversité des scénarios de sécheresse. Une solution consiste à utiliser un modèle mathématique qui prédit les effets de caractères physiologiques dans un plus grand nombre de scénarios environnementaux, pour les conditions climatiques actuelles et futures.

Cette recherche d’« idéotypes » vise à définir la combinaison de ces caractères pouvant donner le meilleur rendement moyen au fil des ans dans une région donnée (exemple sur la précocité en figure 8.5). Un idéotype dépend forcément de l’objectif spécifique qu’il lui est imposé (p. ex. : meilleur rendement, stabilité des rendements… ) et sera différent selon l’environnement et la conduite de culture.

Cette stratégie nécessite donc un modèle de culture capable de prédire l’impact des caractéristiques génétiques des variétés dans des environnements contrastés, combiné à des mesures à large échelle de ces caractéristiques pour un grand nombre de variétés. Cette utilisation de la modélisation est très différente de celle des premiers modèles de cultures qui ont principalement été construits pour prédire les conséquences de différentes conduites culturales et des conditions climatiques sur le rendement (p. ex. : dates de semis, espacement des rangs, irrigation, ou diverses conditions climatiques).

De plus, ces modèles de culture ont été principalement construits sur la base d’une variété « moyenne », idéalement représentative de l’espèce et n’intègrent pas la diversité que l’on peut trouver dans chaque espèce pour chaque caractère physiologique. La prédiction de l’impact de cette diversité sur les performances des plantes nécessite donc de repenser ces modèles en profondeur, de telle sorte qu’ils incluent plus largement cette diversité, et que les valeurs de ces caractères soient mesurables pour des centaines de variétés.

La « Phénomique » permet aujourd’hui de mesurer les caractéristiques physiologiques de centaines de variétés

Pendant des années, le phénotypage (la caractérisation du phénotype, soit d’un/des caractère(s) observable(s) chez un individus), est resté un obstacle majeur en modélisation des cultures et en sélection variétale. Jusqu’à récemment, obtenir un jeu de caractères représentant la variété (le Phénome), pour ne serait-ce que quelques dizaines de variétés était tout simplement impossible, tant l’effort expérimental pouvait être important pour mesurer ces dizaines de valeurs de caractères nécessaires au modèle de culture pour simuler une variété.

Ces 15 dernières années ont été marquées par l’explosion du nombre de plateformes de phénotypage haut-débit, en vue de pouvoir caractériser des phénotypes dynamiques à différentes échelles, de métabolites jusqu’à la croissance de la plante entière en conditions contrôlées (serres, chambres de cultures, ou les conditions environnementales sont imposées), au champ semi- contrôlé (abris roulants, irrigation, imagerie…), et à l’exploitation agricole (télédétection, drones, réseaux de capteurs… ; figure 8.6).

Cependant, dans un premier temps, cette démonstration technologique ne s’est pas transformée automatiquement en données biologiques d’intérêt, tant manquaient des procédures d’analyses de ces données hétérogènes à différents pas de temps. Aujourd’hui, la « Phénomique » végétale est devenue une science à part entière, développant de nouvelles méthodes de traitement et de modélisation des données, pour tirer parti de l’imagerie des plantes à haut débit, des technologies de capteurs, et procurer des ensembles de valeurs de caractères physiologiques sur des centaines de variétés.

Quels traits physiologiques pour les variétés du futur ? Les caractères adaptatifs, de grands oubliés ?

La vision classique de l’amélioration variétale pour la tolérance à la sécheresse est basée sur le compromis entre disponibilité en eau pendant le cycle végétatif (avant la floraison) et pendant le remplissage du grain.

Dans ce cadre, les leviers possibles pour développer de nouvelles variétés adaptées à des épisodes de sécheresse de plus en plus fréquents sont :

  • 1) L’évitement, en jouant sur la précocité des variétés et leur vitesse de développement, afin que la floraison ait lieu avant les épisodes de sécheresse sévère ;
  • 2) La croissance racinaire ;
  • 3) La modération de la transpiration des plantes.

Cependant, la caractérisation de ces caractères clefs (dynamique de croissance racinaire et foliaire, contrôle temporel de la transpiration…) est très difficile à une échelle temporelle fine (minutes à heures), et les chercheurs ont donc eu tendance à travailler principalement sur des caractères constitutifs (qui ne changent pas avec l’environnement, par exemple, enracinement profond) et dans des conditions artificiellement stables.

Ces caractères peuvent améliorer le rendement dans de larges gammes environnementales, mais ont aussi des conséquences sur la production qui dépendent des conditions environnementales. Par exemple, diminuer fortement la transpiration en ciblant des processus physiologiques constitutifs (p. ex. : le nombre de stomates, les pores permettant le passage de l’eau) peut apporter un nouvel éclairage sur leur fonctionnement, mais l’objectif de maintenir les rendements n’est alors rempli que dans des conditions de sécheresse très sévère, qui ne se produisent que rarement dans un contexte agricole.

De même, un système racinaire plus profond peut être bénéfique en cas de réserves disponibles en profondeur, mais c’est au contraire un système racinaire superficiel qui sera bénéfique dans le cas de sols peu profonds et en cas d’épisodes réguliers de faibles précipitations. Pourtant, la sélection variétale a jusqu’à récemment largement ignoré les processus adaptatifs dynamiques dans des environnements fluctuants, laissant de côté une large gamme de mécanismes temporels d’intérêt pour l’amélioration variétale. Utiliser la modélisation peut permettre d’optimiser ces processus adaptatifs et d’utiliser ces nouveaux leviers pour développer les variétés du futur mieux adaptées à des environnements fluctuant d’une année sur l’autre.

Pour résumer, pour développer les variétés du futur adaptées aux changements climatiques, et plutôt que rechercher un hypothétique gène miracle de la résistance à la sécheresse, une alternative réaliste et efficace est de rechercher dans la diversité génétique un ensemble de caractères physiologiques variétaux, et d’utiliser la modélisation pour prédire leurs avantages respectifs pour chaque scénario local de sécheresse.

Figure 8.5. Exemple d’utilisation de modèles pour prédire les meilleurs « idéotypes » dans chaque situation locale. Précocité optimale pour une variété de maïs pour une cinquantaine de sites de culture du maïs Européens aujourd’hui et en 2050.
(Source : Parent et al., 2018).

Figure 8.6. Exemple de plateformes pour le phénotypage haut-débit de caractères à différentes échelles.
(Source : figure composite élaborée par les auteurs)