Un potentiel hydroélectrique mis à mal par le changement climatique

Éric SAUQUET (INRAE – Riverly), Jean-Philippe VIDAL (INRAE – Riverly)

En France, l’hydroélectricité est la seconde source de production d’électricité derrière le nucléaire, soit environ 11 % de la production électrique (p. ex. RTE, 2019). Elle vient compléter la production de base fournie par le parc nucléaire pendant des pics de demande (notamment durant les vagues de froid) et est, à l’échelle de la région Occitanie, la première source de production d’énergie renouvelable (10 TWh), loin devant l’éolien (2 TWh) et le photovoltaïque (1 TWh).

L’évolution de l’hydroélectricité s’inscrit dans un contexte politique double : celui de la transition énergétique et celui de la gestion intégrée des ressources en eau. De facto, le potentiel hydroélectrique est fortement lié à la disponibilité en eau et donc à son devenir dans un contexte de changement climatique. En effet, celui-ci va agir sur la capacité à produire (modifications des apports naturels alimentant le lac-réservoir amont en quantité et en temporalité) et sur la demande en énergie (modification des pics de demande liés aux vagues de froid notamment). Pour un réservoir multi-usage, d’autres activités demandeuses en eau pourraient être impactées et entrer en concurrence plus forte avec l’usage hydroélectricité.

Le devenir de l’hydroélectricité est illustré sur deux exemples où seuls les enjeux du changement climatique et de la gestion de l’eau ont été considérés.

Le devenir de la gestion des aménagements hydroélectriques du bassin de l’Ariège à Foix

Dans le cadre du projet IMAGINE2030 (Sauquet et al., 2010), un modèle hydrologique combiné à un module simplifié représentant la gestion des lacs-réservoirs, ses déterminants et les règles de placement de l’eau (stockage/ déstockage conditionné par l’intérêt économique à turbiner) a été développé et alimenté par des projections climatiques à l’horizon 2030 établies sur la base de l’exercice AR4 du GIEC. Les simulations hydrologiques montrent des apports annuels aux barrages en baisse, une fonte de la neige plus précoce et une sévérité accrue des étiages en réponse à des températures plus élevées dès 2030 (de l’ordre de +1 à +2 °C à l’horizon 2030 en moyenne annuelle par rapport à la période 1970-1989).

Deux scénarios de gestion (figure 10.11) ont été testés : le premier « business as usual » et le second intégrant un soutien d’étiage estival augmenté au travers de l’augmentation du débit minimal à respecter. Dans les deux cas, on constate à l’horizon 2030 un remplissage avancé des réservoirs sur l’Ariège, conséquence d’une onde de fonte plus précoce et d’une répartition des jours de déstockage modifiée. En effet, le nombre annuel de jours où il y a un fort intérêt à effectuer des lâchers pour la production d’énergie – avec une température moyenne en France < 15 °C – diminue tandis que le nombre annuel de jours où les lâchers sont nécessaires pour garantir un débit minimal augmente. Cela se traduit par une retenue moins mobilisée en hiver mais davantage en été et un niveau de remplissage plus haut en fin de printemps pour anticiper la contribution plus forte de ces réservoirs au soutien d’étiage estival en 2030. Dans le second scénario, la priorité donnée au soutien d’étiage au détriment de la production d’énergie implique une gestion très conservatrice en début d’année (un « creusement » moindre de la courbe de remplissage qu’avec le scénario « business-as-usual ») pour garantir le débit minimal.

La réponse aux perturbations climatiques des lacs-réservoirs des vallées des Nestes d’Aure et du Louron

Le second cas d’étude s’intéresse aux lacs-réservoirs des vallées des Nestes d’Aure et du Louron, dont la Société Hydro-Electrique du Midi (SHEM) a la concession depuis 2003. Chaque réservoir est géré en coordination avec les autres pour, d’une part, satisfaire des besoins en énergie et, d’autre part, pour réalimenter 17 affluents rive gauche de la Garonne situés dans le Plateau de Lannemezan. Un volume total de 48 Mm3 est ainsi réservé annuellement pour garantir les usages liés à l’irrigation, l’alimentation en eau potable et le bon état écologique des cours d’eau réalimentés du système Neste entre le 15 juin et le 1er mars de l’année suivante. En fin de campagne de soutien d’étiage, la SHEM valorise l’eau restante pour la turbiner en privilégiant les jours pendant lesquels les prix de l’énergie sont les plus élevés. Au 1er mars, les retenues sont à leur minimum.

Une analyse de sensibilité via une modélisation des apports aux lacs-réservoirs a été engagée afin de mesurer comment le potentiel de production réagit à des perturbations climatiques. Un premier diagnostic très grossier du fonctionnement du système consiste à examiner si les apports naturels peuvent garantir au moins 48 Mm3, ce qui permettra de conserver de l’eau pour le turbinage en hiver ; si ce n’est pas le cas, cette situation extrême est jugée « critique ». Des scénarios de changement climatique ont donc été créés pour explorer de façon systématique une gamme étendue des modifications possibles. L’analyse de sensibilité est résumée par une surface de réponse décrivant l’évolution des volumes annuels disponibles en amont des retenues en fonction des changements en précipitation et température. Sur ce graphique (figure 10.12) sont reportées les trajectoires climatiques des bassins d’alimentation des lacs-réservoirs d’après les simulations ADAMONT depuis 1980 jusque 2099. La courbe noire est construite à partir des projections RCP8.5 et la courbe grise à partir des projections RCP4.5. Ce graphique fait apparaitre une zone critique pour le système Neste atteignable sous scénario RCP8.5 en fin de siècle, c’est-à-dire une hausse de la température annuelle de plus de 4.5 °C et une baisse des précipitations annuelles de plus de 400 mm/an, qui ne permettront pas d’assurer l’intégralité des 48 Mm3 potentiellement requis et laissant peu d’opportunité de turbiner en hiver.

Brève synthèse

Dans les deux cas d’étude, l’effet attendu du changement climatique sur l’hydrologie naturelle des cours d’eau de montagne serait en premier lieu une élévation des températures de l’air avec une onde de fonte avancée et une réduction des précipitations sous forme de neige, modifiant la stratégie de remplissage des réservoirs (concomitant avec la période de fonte). De plus, la baisse des apports aux réservoirs et donc du potentiel de production semble quasi certaine. A cette réduction, s’ajoutent pour le producteur d’hydroélectricité les « contraintes » réglementaires (débits écologiques et volume contractuel dédié à d’autres besoins). Le respect de ces contraintes exprimées à l’aval des réservoirs induit moins de flexibilité pour le déstockage de l’eau en période hivernale en réponse à la demande d’énergie dans le futur. Dans ces conditions, l’hydroélectricité produite dans les Pyrénées ne pourra pas contribuer au réseau électrique français comme par le passé. Ces évolutions interrogent donc la contribution de l’hydroélectricité à la production d’électricité dans les prochaines décennies et la vraisemblance de certains scénarios de mix énergétique.

Figure 10.11. Courbe annuelle moyenne des volumes journaliers dans les réservoirs en amont de Foix, sur la période actuelle (PST), à l’horizon 2030 avec une gestion « business as usual » – contrainte de soutien du débit à la valeur objectif de 8 m3/s et à l’horizon 2030 avec une gestion considérant un soutien fixé à 12 m3/s (« soutien accru »).
(Source : d’après Hendrickx et Sauquet, 2013)

Figure 10.12. Surface de réponse caractérisant la sensibilité des apports naturels aux lacsréservoirs des vallées des Nestes d’Aure et du Louron (hors Orédon) à des perturbations du climat. Les courbes représentent des trajectoires possibles de la période actuelle 1980-1999 () jusqu’à la fin de siècle 2080-2099 (Δ), échantillonnées tous les 10 ans (●) sous scénarios RCP4.5 (gris) et RCP8.5 (noir). Chaque point est représentatif d’une période glissante de 20 ans. La zone critique pour les usages en aval en termes de changement de climat (conduisant à des apports naturels inférieurs à 48 Mm3) est hachurée en rouge.
(Source : d’après Huang et al., in prep.)