La dimension écologique de la gratuité des transports

Maxime HURÉ (UPVD – CDED)

Depuis les mesures pionnières prises par la municipalité de Colomiers en 1971, de nombreuses villes françaises ont généralisé le principe de gratuité sur leur réseau de transports. Alors que l’intégration de Colomiers au sein du périmètre des transports de Tisséo a mis fin à cette expérience en 2016, l’Occitanie compte aujourd’hui 4 des 35 réseaux gratuits du pays : Figeac (depuis 2003), Castres (2008), Gaillac-Graulhet (2014) et Cahors (2019).

Si l’argument écologique n’était pas toujours mis en avant dans les premières expériences, il est désormais systématiquement avancé pour promouvoir cette politique (Guelton et Poinsot, 2020). Pour caractériser la dimension écologique de la gratuité, il convient de s’intéresser, dans un premier temps, à l’une des spécificités de cette mesure : le choix d’une incitation tarifaire et symbolique pour stimuler la demande en faveur du transport collectif. Mais cette analyse ne suffit pas. Il s’agit aussi d’analyser les politiques urbaines dans lesquelles s’insère un réseau de transport gratuit, en particulier celles visant à encadrer les déplacements automobiles.

Figure 10.4. Carte des villes françaises du transport gratuit.
(Source : Observatoire des villes du transport gratuit, 2021)

L’incitation tarifaire de la gratuité engendre-t-elle un transfert des automobilistes vers les transports collectifs ? La question des effets réels de la gratuité des transports sur le trafic automobile est peu documentée et les modes de calcul utilisés pour essayer de quantifier ces effets soulèvent de nombreuses controverses (Transports urbains, 2020). C’est pourquoi les opérateurs et les élus s’appuient d’abord sur les chiffres de la fréquentation du réseau, à la fois pour établir des objectifs dans les politiques publiques et pour évaluer les mesures mises en oeuvre.

Sur la base des chiffres de la fréquentation des transports, la gratuité est présentée comme une réussite. A Dunkerque, la fréquentation du réseau a en effet augmenté de 85 % la semaine et de 120 % les week-ends entre septembre 2017 et septembre 2019 (Huré et Javary, 2019). Ces bons chiffres s’observent également dans les autres réseaux ayant fait le choix de la gratuité : à Castres, la hausse a été de 76 % sur les six premiers mois.

Ces chiffres offrent une photographie intéressante de l’augmentation de la fréquentation, mais ils manquent de contextualisation et ne permettent pas toujours d’isoler l’effet de la gratuité des transports dans les réseaux ayant restructuré leur offre. Si ces comparaisons permettent de fournir a posteriori des argumentaires en faveur de la gratuité des transports, les chiffres de la fréquentation ne permettent pas de conclure quant aux bénéfices écologiques de la gratuité car l’effet sur le trafic automobile reste méconnu. L’augmentation de la fréquentation n’induit pas nécessairement une diminution forte du trafic automobile, même si dans une première enquête menée à Dunkerque en 2019, 24 % des usagers ont affirmé avoir remplacé leur trajet auparavant réalisé en voiture par le bus (Huré et Javary, 2019). Par ailleurs, l’augmentation de la fréquentation générée par le passage à la gratuité peut entrainer un autre bénéfice écologique : une optimisation réelle d’une infrastructure coûteuse en énergie.

Pour caractériser la dimension écologique de la gratuité, il semble nécessaire d’interroger plus largement la capacité des projets de gratuité des transports à transformer l’urbanisme. Les projets urbains dans lesquels s’insèrent les politiques de gratuité des transports permettent-ils de diminuer la place de l’automobile en ville ? Pour répondre à cette question, il est possible d’ouvrir une réflexion plus large sur la production de la ville, en s’intéressant à la place de la voiture individuelle dans les politiques urbaines. Une attention particulière peut être portée à la politique de stationnement automobile, dans la mesure où cette dernière semble la plus efficace pour réguler la circulation automobile dans les villes (Massot, 2002). Une autre manière d’interroger la dimension écologique de la gratuité des transports consiste à retourner la question : dans quelle mesure permet-elle d’éviter d’autres comportements de mobilité moins vertueux ?

L’Observatoire des villes du transport gratuit travaille par exemple sur la manière dont la gratuité pourrait impacter la mobilité des jeunes, en particulier la temporalité du passage du permis de conduire ou de l’achat d’un véhicule, mais aussi l’apprentissage à de nouvelles pratiques de déplacement en transport collectif (figures 10.4, 10.5 et 10.6).

Figure 10.6. Évolution de la fréquentation de certains réseaux de transport collectif des villes passées à la gratuité en France et en Europe.
(Source : tableau réalisé par Henri Briche, 2017)

Figure 10.5. Carte des villes françaises du transport gratuit.
(Source : Observatoire des villes du transport gratuit, 2021)

Figure 10.7. L’accessibilité des stations balnéaires languedociennes aux modes alternatifs à la voiture.
(Source : Revelli, 2021)

Figure 10.8. Le Train Jaune en gare de Mont-Louis.
(Source : Revelli, 2019)