Services d’eau et d’assainissement : faire tomber les limites du petit cycle

Marine COLON (AgroParisTech – G-EAU), Lætitia GUÉRIN-SCHNEIDER (INRAE – G-EAU)

Pendant longtemps, la gestion des ressources (grand cycle de l’eau) et des services d’eau (petit cycle) relevaient d’échelles et d’acteurs distincts. Le petit cycle recouvre les réseaux d’eau potable et d’assainissement. Il est placé sous la responsabilité des élus locaux (communes et intercommunalités) et se structure autour du triptyque élus (organisateur), opérateur (gestionnaire) et abonnés (usager payeur).

L’État quant à lui fixe et contrôle l’application des règles. Il a longtemps contribué au financement des réseaux, rôle désormais confié aux Agences de l’Eau.

L’enjeu des services portait initialement sur l’accès à l’eau (raccordement au réseau). Il s’est déplacé vers la qualité des ressources, générant un premier pont entre petit et grand cycle : la maîtrise des pollutions diffuses ou la fixation des exigences de rejets des stations d’épurations se raisonnent à l’échelle de la masse d’eau (Deutsch et Gautheron, 2013).

Le changement climatique accentue encore les tensions quantitatives à une plus large échelle. La gestion quantitative passe d’un registre technique (construire des infrastructures d’accès à l’eau) à un registre de gouvernance (organiser le partage de l’eau entre les usages) (Colon et al., 2018).

Quels sont, dans ce contexte, les enjeux et les pistes d’évolutions en France et plus particulièrement en Occitanie ?

Agir au sein du petit cycle

La loi NOTRe incite les services à se regrouper pour augmenter leur échelle de gestion. Cela ouvre des perspectives de solidarité territoriale via des interconnexions (augmentation de l’offre en eau). Côté demande, la tarification incitative (le prix au m³ augmente avec la consommation) est de plus en plus souvent envisagée pour limiter les consommations. Ainsi, par exemple, Montpellier Méditerranée Métropole pratique un tarif croissant avec deux tranches pour l’eau potable.

L’adaptation au changement climatique implique aussi de changer les référentiels d’action utilisés dans les schémas directeurs d’eau potable (risques de moindre disponibilité de l’eau, de plus de salinité avec la remonté des nappes salines…) et, côté assainissement, de prendre en compte la possible modification des exutoires (intermittence accrue des cours d’eau côtiers) ou l’évolution des zones inondables.

Articulation avec le grand cycle

Penser les solutions à l’échelle « grand cycle » c’est aussi développer des ressources alternatives, pour réserver l’eau potable aux usages les plus exigeants en qualité (eau de boisson, usages sanitaires) : l’accès aux réseaux d’eau brute, initialement destinés à l’irrigation agricole, peut parfois répondre à des besoins urbains (arrosage des espaces verts et jardins). Côté assainissement, la réutilisation des eaux usées permet quant à elle un recyclage des eaux urbaines vers l’irrigation, ce qui peut être intéressant en zone littorale, lorsque les stations rejettent la précieuse eau douce en mer sans jamais soutenir l’étiage de cours d’eau (comme à Montpellier ou Sète).

Penser « grand cycle » c’est également, promouvoir une gouvernance élargie via les SAGE (schéma d’aménagement et de gestion des eaux). Cela permet à la fois d’envisager la gestion des services à une échelle plus vaste, celle de la ressource et d’impliquer un panel plus large d’acteurs. Ainsi le SMETA (syndicat mixte d’études et de travaux de l’Astien) a créé en 2013 une charte et une labellisation pour encourager les économies d’eau dans le petit cycle.

Une gestion plus transversale du territoire

De manière encore plus transversale, une partie des solutions pour s’adapter aux nouveaux enjeux viendra de la transversalité entre gestion de l’eau et gestion des territoires. La loi a déjà commencé à inverser la logique en donnant au document SAGE un poids supérieur à celui des documents d’urbanisme. Au moins en théorie, ce n’est plus le développement urbain qui ordonne la mise en place des réseaux, mais la disponibilité des ressources et leur possible rareté future qui conditionnent les développements.

En conclusion, l’adaptation au changement climatique mobilise de multiples leviers, techniques, économiques, politiques (avec la gestion concertée). Il est intéressant de combiner les solutions mais aussi de changer de paradigme pour sortir du petit cycle. Au final, un accroissement de la rareté de l’eau pourrait peser sur le prix de l’eau potable, même si les investissements ne sont pas les seuls facteurs explicatifs du prix final. Cette augmentation sera d’autant plus forte si les consommations ne sont pas maitrisées, obligeant à aller chercher l’eau toujours plus loin à force d’infrastructures coûteuses. Le changement climatique amènera également à réfléchir au modèle de fourniture des services par le réseau, pour une plus grande circularité et pour des dispositifs moins consommateurs d’eau et d’énergie.

Encadré. Le Canal du Midi et ses extensions

Pierre CHEVALLIER (IRD – HSM)

Le Canal du Midi, construit à la fin du XVIIe siècle, traverse la région Occitanie d’est en ouest avec ses deux extensions qui datent de la première moitié du XIXe siècle, le Canal du Rhône à Sète et le Canal de Garonne. Si la fonction originale d’axe de transport reliant la Mer Méditerranée à l’Océan Atlantique est devenue anecdotique, il constitue un ensemble majeur dans l’environnement occitanien par son importance hydraulique, sa présence paysagère, son rôle touristique et sa valeur patrimoniale avec sa partie la plus ancienne inscrite au Patrimoine Mondial de l’UNESCO (1996).

Son bon fonctionnement est directement lié aux conditions environnementales et dépend de plusieurs facteurs sensibles aux évolutions climatiques des prochaines décennies. La partie centrale (Canal du Midi) est alimentée par des retenues situées dans la Montagne Noire sur le bassin hydrographique du Tarn ; le réservoir historique de St Ferréol est complété aujourd’hui par trois autres (les Cammazes, la Galaube et le Lampy Neuf). La partie est (Canal du Rhône à Sète) traverse les étangs littoraux méditerranéens. La partie ouest (Canal de Garonne) est connectée à la Garonne par des prises d’eau, tout particulièrement celle du canal de Brienne à Toulouse qui se trouve au point le plus haut. Cet ensemble est donc directement tributaire des deux régimes hydrologiques distincts de la Garonne amont et du Tarn, ainsi que de l’évolution du niveau de la mer et du trait de côte méditerranéen.

Selon l’agence de tutelle, Voies Navigables de France, on ne dispose pas aujourd’hui d’étude scientifique détaillée de l’impact du changement climatique sur l’alimentation du Canal du Midi et du Canal de Garonne. Pour le Canal du Rhône à Sète, directement menacé par l’élévation du niveau marin et le recul du trait de côte, un document récent (février 2021) de la Préfecture Régionale d’Occitanie fait le point sur son devenir. Il prend en particulier en compte des simulations réalisées par l’Entente Interdépartementale pour la Démoustication du littoral méditerranéen (EID) et le Conservatoire du Littoral qui soulignent une forte vulnérabilité du canal au cours des prochaines décennies et sa disparition à l’échéance de 2150, en l’absence d’intervention radicale.

Figure 3.11. Simulation de l’évolution du Canal du Rhône à Sète dans sa traversée des étangs de l’Arnel et du Prévost au sud de Montpellier ; au centre l’île et la cathédrale de Maguelone. (Source : présentation de l’EID Méditerranée et du Conservatoire du Littoral, 6/11/2020)

Les menaces et leur cohorte de conséquences économiques qui pèsent sur cet ensemble emblématique ne sont pas que d’ordre hydraulique. Des perturbations biologiques liées au réchauffement sont aussi susceptibles d’endommager l’environnement du canal, comme l’ont montré les atteintes observées au cours de la dernière décennie aux plantations de berge (chancre coloré du platane).