Impacts du changement climatique sur la qualité des eaux en Occitanie

Françoise ELBAZ POULICHET (CNRS – HSM)

Le bon état écologique d’une masse d’eau tel que défini par la Directive Cadre sur l’Eau (DCE), correspond à un bon fonctionnement au niveau biologique, physique, chimique et sanitaire. La composition chimique et la diversité biologique des espèces dépendent de facteurs naturels comme la géologie, le climat, le couvert végétal et varient saisonnièrement en fonction des conditions hydrologiques, de l’ensoleillement, de la température. Aujourd’hui les facteurs humains comme l’occupation des sols (agriculture, urbanisation, industrie, activité extractive), la pêche, l’aquaculture sans oublier les capacités de traitement des effluents dominent largement les facteurs naturels et contrôlent dans une large mesure la qualité des eaux. Le changement climatique constitue une pression supplémentaire qui impacte à la fois les facteurs naturels et les facteurs humains.

Dans la littérature scientifique, rares sont les publications qui à ce jour rapportent des impacts observés du changement climatique sur la qualité des eaux. Cela ne veut pas dire qu’ils n’existent pas mais ils sont difficiles à distinguer, oblitérés par les impacts des pressions anthropiques. Par ailleurs, les modèles prévoyant les impacts du changement climatique sont rares et surtout spécifiques à chaque site. Les éléments nutritifs (azote et phosphore) apportés en excès par l’activité humaine (agriculture, rejets urbains) provoquent une eutrophisation des milieux aquatiques qui se traduit notamment par des proliférations de plantes aquatiques, algues et cyanobactéries. Avec un ensoleillement accru, le changement climatique peut contribuer à augmenter la photosynthèse (croissance des algues). La décomposition de ces algues consomme de l’oxygène et entraine parfois des crises d’anoxies (absence d’oxygène). La solubilité de l’oxygène dans l’eau diminuant avec l’augmentation de la température, ces crises d’anoxies connues sous le nom de malaïgue dans l’étang de Thau où elles occasionnent des pertes conchylicoles considérables pourraient voir leur fréquence augmenter (voir chapitre-enjeu Milieux littoraux).

Des suivis de la qualité des eaux publiés récemment ont néanmoins montré que dans la plupart des étangs littoraux d’Occitanie, la qualité de l’eau s’est améliorée ou s’est stabilisée (Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse, 2021). Dans la lagune de Thau (Derolez et al., 2020) et dans la Loire (Minaudo et al., 2015), l’augmentation des températures n’a pas eu d’effet sur les crises d’anoxies depuis 2 à 3 décennies. Ces dernières ont régressé en raison de la diminution des rejets domestiques de phosphore, conséquence de la mise en oeuvre après les années 1970 de législations nationale et européenne qui ont généralisé et amélioré le traitement des effluents urbains. Il semblerait donc que l’action de l’homme ait permis de limiter l’impact du réchauffement au moins sur cette période.

En revanche, l’augmentation de la température, la durée des épisodes de chaleur et peut-être paradoxalement l’amélioration de la qualité des eaux via la diminution des rejets de phosphore par rapport à ceux d’azote pourraient stimuler le développement d’algues ou de cyanobactéries toxiques ou leur sécrétion de toxines dans les milieux d’eaux douces et marins côtiers (Aubé et al., 2016 ; Pinay et al., 2017). Cependant, l’importance relative des différentes variables clés dans les développements d’algues toxiques (figure 3.10) est encore mal connue (Wells et al., 2015). Outre la prolifération des algues toxiques, l’augmentation de la température pourrait également favoriser l’apparition ou la prolifération de germes pathogènes pour l’homme notamment ceux responsables d’infections digestives (gastroenterovirus et vibrio cholérique) (Estève et al., 2015) ou pour les organismes aquatiques particulièrement dans les élevages (voir chapitre-enjeu Santé).

Le changement climatique aura également pour effet des étiages sévères et prolongés. Dans ces conditions les rejets ponctuels d’effluents urbains et industriels et diffus de l’agriculture ne seraient plus dilués et les concentrations en métaux, pesticides, médicaments, etc. pourraient dépasser les valeurs limites fixées par la DCE pour une bonne qualité des eaux. A l’inverse, les épisodes pluvieux bien que moins fréquents pourraient être plus violents ou plus étendus que par le passé. Les crues pourraient en particulier mobiliser les polluants (métaux, arsenic) contenus dans les stériles des anciennes mines en particulier sur les bassins des Gardons et de l’Aude (Salsigne). Il est important de garder en mémoire que lors de ces épisodes pluvieux violents des quantités importantes de polluants (pesticides et éléments nutritifs épandus sur les sols agricoles, eaux usées non traitées) et de déchets de toute nature (matières plastiques, macro déchets) rejoignent les milieux côtiers.

Figure 3.10. Schéma conceptuel montrant l’impact du changement climatique sur les variables clés des milieux aquatiques et les interactions avec les algues toxiques ou nuisibles qui peuvent conduire à des proliférations. (Source : d’après Wells et al., 2015).