Le grand cycle (ressources, milieux, risques)

Stéphane GHIOTTI (CNRS – ArtDEv) et Sophie RICHARD (AgroParisTech – G-EAU)

La gouvernance du grand cycle de l’eau au sein des territoires d’Occitanie est tributaire de la capacité de l’ensemble des acteurs à faire évoluer un réseau historiquement structuré, afin de s’insérer à un nouvel environnement juridico-politique intégrant les enjeux du changement climatique.

Du développement des espaces ruraux agricoles et de l’hydroélectricité à l’intégration des enjeux écologiques et à l’adaptation aux changements climatiques

La gouvernance des différents ouvrages de transfert et de stockage d’eau et les maîtrises d’ouvrage publiques associées ont évolué au fil du temps pour répondre aux nouveaux enjeux de gestion de l’eau et de développement économique. Les institutions sectorielles initiales de gestion des infrastructures comme les deux sociétés d’aménagement régional créées par l’État au milieu des années 1950 (Compagnie d’Aménagement des Coteaux de Gascogne – CACG – et le système Neste à l’ouest ; Compagnie du Bas-Rhône Languedoc – BRL – et le canal Philippe Lamour à l’est) ont dû, plus ou moins progressivement, prendre en considération des problématiques plus intégrées et intersectorielles comme la question environnementale, pluri-acteurs, mobilisant de nouveaux instruments de l’information, de la prospective et de la participation.

Les controverses récurrentes et hautement conflictuelles sur les ouvrages de stockage sont aujourd’hui exacerbées par les perspectives de changement climatique qui questionnent plus fortement l’opportunité et l’efficacité de ce modèle de développement des espaces ruraux et de son mode de gouvernance initial, plutôt sectoriel. Aujourd’hui la gouvernance de ces ouvrages intègre en effet des problématiques beaucoup plus larges alliant qualité des milieux, biodiversité, lutte contre les inondations…

Une décentralisation accrue avec des institutions régionales qui entrent dans le jeu

Une des principales évolutions de la gouvernance régionale ces dernières années est la reprise en 2008 de la concession des ouvrages hydrauliques du réseau BRL par le Conseil Régional Languedoc-Roussillon (Barraqué, 2007 ; Ghiotti, 2021). Cependant, malgré les défis auxquels elle fait déjà face et ce que laisseraient supposer ses orientations récentes (H2O 2030, Plan d’orientation régional pour l’eau de 2018), la Région Occitanie n’a pas encore répété l’opération pour la CACG et, contrairement à d’autres Régions de France, ne s’est pas encore positionnée pour demander la mission « d’animation et de concertation pour la gestion de la ressource en eau et des milieux aquatiques » prévue par l’article 12 de la Loi NOTRe (2015). Ce dernier volet de la réforme territoriale, a, avec la loi MAPTAM (2014), redistribué les cartes entre les différents acteurs en changeant partiellement les niveaux d’exercice des compétences liées au grand cycle de l’eau (Barone et al., 2018).

Un système multi acteurs en recomposition sous l’effet des lois de décentralisation de 2014 et de 2015

La Région n’est pas le seul acteur concerné par ces enjeux qui se déclinent également aux échelles supra-régionales (réformes de l’État, Agences de l’Eau, Office Français de la Biodiversité) et infra-régionales. Ils concernent notamment les autres collectivités territoriales (départements et communes), les intercommunalités à fiscalité propre et les syndicats de bassin versant (figure 3.12).

A l’échelle départementale, les conseils départementaux ont été et sont toujours très structurants pour la gestion territoriale de l’eau que ce soit aux côtés des communes et des organisations professionnelles agricoles comme « fer de lance » de projets d’infrastructures hydrauliques ou en appui à la structuration de syndicats mixtes, porteurs des démarches de contrats de rivières ou de schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) à l’échelle des bassins versants, avec les services déconcentrés de l’État et l’Agence de l’Eau.

La région Occitanie est positionnée à cheval sur deux bassins hydrographiques (Adour-Garonne et Rhône-Méditerranée) aux enjeux quantitatifs assez différents, notamment sur les volets agricole et hydroélectrique. En termes de politique de gestion quantitative, le poids d’acteurs comme EDF est central à l’échelle de la région comme en témoigne, par exemple, son rôle dans la définition des débits d’objectifs d’étiage sur la Garonne ou sur d’autres bassins versants. Les Agences de l’Eau sont des acteurs importants des futurs dispositifs par leurs priorités de financement visant à réduire et à s’adapter aux effets du changement climatique ainsi que par leur implication dans la structuration des gouvernances territoriales. Le bloc communal constitue un autre acteur majeur, au-delà de son implication historique sur l’alimentation en eau potable et l’assainissement comme en témoigne son rôle central dans la mise en oeuvre de la compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) et le prélèvement de la taxe associée visant son financement.

Si cette nouvelle attribution renforce l’intégration des enjeux entre petit et grand cycles de l’eau à l’échelon intercommunal, elle participe également à la mise en tension des relations construites par cet échelon avec les établissements de bassin, ces derniers ayant été structurés historiquement autour de la prise en charge de ces problématiques.

Cette diversité d’acteurs et d’échelles touche également l’État (services déconcentrés et centraux) et ses opérateurs (Agences de l’Eau, Office Français de la Biodiversité, Conservatoire du Littoral…) et l’interroge dans sa capacité de coordination et de mise en cohérence avec les politiques sectorielles.

Enjeux et défis à venir pour innover avec le changement climatique

En contexte de changement climatique et d’incertitudes multiples, un enjeu pour les différentes institutions est d’innover et d’inventer de nouvelles modalités de gestion et de gouvernance, adaptées à une nouvelle répartition spatiale et temporelle des ressources en eau.

Ces questions se posent en termes de pouvoir, de légitimité, de compétences, de moyens (techniques, financiers, opérationnels) en réponse à une nouvelle répartition spatiale et sociale des coûts et des bénéfices tout en prenant en compte les questions de solidarités, inter-territoriales mais aussi inter-sectorielles et inter-générationnelles (Richard et Rieu, 2017).

Le changement climatique questionne la gouvernance sous trois dimensions en particulier :

  • 1) La capacité à favoriser des cadres qui permettent la coordination de territoires et d’échelles variables (comme l’AGORA en région Sud-PACA, le guichet unique pour le volet financier en Bretagne) ;
  • 2) La capacité à coordonner des secteurs et des acteurs multiples, de plus en plus interdépendants d’une ressource commune qui évolue : eau potable, biodiversité, irrigation, inondation, sécheresse… ;
  • 3) La capacité à articuler gestion des urgences et projection sur le temps long et à gouverner en contexte d’incertitudes.

Imaginer un système de gouvernance à l’échelle régionale en contexte de changement climatique revient ainsi à imaginer des formes d’innovations. En Occitanie, à la régionalisation « hydraulique » de la période précédente succède une nouvelle phase où s’affirment tendanciellement l’écologisation, la démocratisation et l’intégration des effets et des enjeux du changement climatique. La gouvernance du grand cycle de l’eau en contexte de changement climatique en Occitanie, encore en phase de construction, se trouve à un tournant (voir chapitre-enjeu Gouvernance).

Figure 3.12. Typologie de gouvernance par bassin versant
(Source : Molle et al., 2007)