À la poursuite du Graal de l’équilibre « besoins-ressources en eau »

Patrice GARIN (INRAE – G-EAU)

Malgré les incertitudes sur l’ampleur des effets de la dérive climatique sur la baisse des débits des cours d’eau et les recharges des aquifères d’une part, sur l’augmentation de l’évapotranspiration et les changements d’usages d’autre part, il ne fait pas de doute que la quête de l’équilibre « besoins – ressources » en eau en période d’étiage constituera un enjeu majeur en Occitanie. Les deux termes de cet équilibre seront à considérer simultanément, tant ils relèvent de choix sociétaux entremêlés sur les modèles de développement et sur les relations Homme – Nature. Les ambitions de restauration des milieux aquatiques pour en valoriser les fonctionnalités, de maîtrise des pollutions ou d’utilisation des capacités des sols à stocker l’eau seront déterminantes sur l’ampleur des besoins en eau restants. Nous n’aborderons ici que ce qui a trait à l’accroissement des ressources mobilisables.

La première voie consistera à optimiser l’exploitation des stocks naturels et artificiels existants à l’échelle régionale pour répondre à l’évolution des besoins prioritaires : réallocation des droits entre usages et modifications des règles d’exploitations des ressources superficielles et souterraines ; révision des droits et obligations pour les ouvrages de stockage ou de transfert en concession (hydroélectricité, soutien d’étiage, irrigation, multi-usage), intégration de l’ensemble des retenues – y compris les plus petites et privées – dans une gestion coordonnée à l’échelle des sous-bassins. L’ordre de grandeur des volumes en jeu dans ces retenues dépasse plusieurs dizaines à centaines de millions de m3 pour l’Occitanie.

L’accroissement des capacités de stockage, que ce soit au sein de grands ouvrages structurants de plusieurs dizaines de millions de m3 ou de retenues de quelques dizaines à centaines de milliers de m3, a déjà fait l’objet de vives controverses. Ces oppositions ont conduit à un net ralentissement des aménagements depuis le début des années 2000 et à la promotion récente de la concertation entre parties prenantes pour des Projets de Territoires pour la Gestion de l’Eau (PTGE). Ces projets de territoires sont initiés aujourd’hui à l’échelle des bassins correspondant peu ou prou à celle des Schémas D’aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) où se planifie, en concertation, la gestion de l’eau à l’horizon d’une décennie. Les PTGE devraient se fonder sur des exercices prospectifs intégrant le changement climatique, la préservation des écosystèmes, la sobriété des usages et des scénarios pour leurs évolutions, des analyses économiques et financières afin de dimensionner au mieux des aménagements complémentaires (stockage, transferts interbassins). Il en résultera des compromis dont la robustesse sera mise à l’épreuve par la multiplication et l’ampleur des sècheresses à venir, avec leurs conséquences écologiques, économiques et sociales.

De multiples solutions seront mobilisables plus localement pour atténuer les tensions sur la ressource. Les possibilités de recharger artificiellement les nappes alluviales pour soutenir les débits d’étiage restent à préciser. Rejetées jusqu’alors dans le milieu, en se mêlant aux écoulements naturels vers l’aval, les eaux pluviales, grises ou usées pourront être recyclées au plus près de leur lieu de production, après un bilan complet et localisé des coûts et des bénéfices attendus (énergie, qualité des eaux et des sols, hydrologie à l’aval, financier). Le déploiement de tels recyclages sera également tributaire des évolutions des normes sanitaires, qui affectent leur modèle économique et influencent l’acceptabilité sociale. De manière similaire, des analyses localisées des coûts (financiers et environnementaux) et des bénéfices dicteront l’ampleur des projets de dessalement en zone littorale. Mais en l’état actuel des connaissances, l’ensemble de ces ressources dites non-conventionnelles ne semble pas de nature à répondre à l’enjeu d’équilibre besoins-ressources à l’échelle régionale.

Encadré. Débit écologiques

Eric Sauquet (INRAE, RiverLy)
Nicolas Lamouroux (INRAE, RiverLy)

Aucune définition précise et universelle des « débits écologiques » n’existe à ce jour. Les multiples définitions ont en commun le fait que ce flux d’eau désigne un « volume d’eau nécessaire à l’écosystème aquatique pour continuer à se développer et à fournir les services dont nous avons besoin », pour reprendre les termes du guide technique « Les débits écologiques dans la mise en œuvre de la directive-cadre sur l’eau » publié par le Ministère de la Transition Ecologique en 2017 (traduction du guide de la Commission Européenne (2015)). Ces débits écologiques sont pris en compte dans le cadre de la réglementation sur les prélèvements directs (ex. débits réservés, article L214-18 du Code de l’Environnement), l’état des milieux aquatiques (ex. la directive-cadre sur l’eau Européenne) et la gestion quantitative des bassins. 

En France, comme dans bien d’autres pays, l’identification de débits écologiques se fait par comparaisons de scénarios d’usage en combinant des approches hydrologiques, hydrauliques et biologiques (Lamouroux et al., 2018). L’approche hydrologique permet de quantifier les altérations du régime hydrologique dans toutes ses dimensions (étiage, crue, variabilité, saisonnalité, etc.) entre les scénarios et des situations de référence (naturelle ou corrigée des influences humaines, actuelle, ou future sous climat modifié). S’en déduisent des indicateurs « écohydrologiques » caractérisant l’impact des usages sur les milieux. L’approche hydraulique traduit certaines modifications hydrologiques en modifications des conditions hydrauliques (vitesse, hauteur d’eau, etc.), puis en modifications de la valeur de l’habitat hydraulique appréciée selon les besoins en habitat des organismes présents et identifiés comme espèces cibles. Ces exigences biologiques documentées dans la littérature scientifique reflètent les besoins physiologiques, les capacités d’alimentation ou de résistance au courant en fonction des stades de développement des espèces aquatiques. Introduire des aspects d’habitat hydraulique dans la démarche permet de prendre en compte la morphologie des cours d’eau concernés et les espèces en place, car une même altération de débit a des conséquences différentes dans différents cours d’eau. 

L’estimation des débits écologiques s’appuie sur l’expertise : elle nécessite avant tout une bonne connaissance de l’hydrologie locale et des usages anthropiques avec lesquels elle interagit, ce qui n’est pas toujours simple sur les bassins versants amont non jaugés et/ou les bassins fortement anthropisés (la connaissance d’une hydrologie de référence y est incertaine). L’approche doit être adaptée dans le contexte des cours d’eau intermittents ou lorsque d’autres facteurs de contrôle (ex : polluants) sont limitants pour la réponse biologique. 

Si la définition de débits écologiques a principalement concerné la réglementation sur les ouvrages et la définition de régimes réservés, elle s’étend à la gestion quantitative de la ressource en eau. 

Dans le bassin Rhône-Méditerranée, des études sur les « volumes prélevables » lancées dès 2009 dans environ 70 bassins en déficit quantitatif (forte pression de prélèvement en étiage) ont conduit à la définition de Débits Objectifs d’Etiage mensuels (DOE) et de volumes prélevables associés, notifiés par le préfet coordonnateur de bassin. La démarche a pris en compte les notions de débits écologiques et d’habitats aquatiques dans ces bassins, fournissant ainsi des études intégrées sur lesquelles se basent les actuels projets de territoires pour la gestion de l’eau (PTGE). La notion de débit écologique est ainsi prise en compte dans la gestion structurelle de l’eau pour la recherche de solutions négociées dans les territoires pour l’atteinte de l’équilibre quantitatif, combinant économies d’eau, modifications des pratiques et aménagements. Les débits biologiques participent également à la gestion de crise en tant que composante des débits de crise (DCR) seuils en dessous desquels seuls les usages dits prioritaires dans le Code de l’Environnement (Article L. 211-1) sont autorisés.

En Adour-Garonne, des points nodaux associés à des valeurs de DOE et DCR sont définis dès le SDAGE de 1996. Les valeurs de DOE sont définies soit à partir d’objectifs de dilution des rejets de l’époque (Débits Minimum Admissibles) soit en se basant sur les débits d’étiage mesurés, sur une période antérieure au développement de l’irrigation, en général période avant 1990. Le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestions des Eaux (SDAGE) de 1996 a renvoyé vers les PGE (Plans de Gestion des Etiages) et les SAGE (Schémas d’Aménagement et de Gestions des Eaux) l’expertise locale de ces valeurs et la possibilité de les redéfinir localement pour les intégrer lors des révisions des SDAGE. Dans ce cadre, en l’absence des connaissances actuelles sur les débits écologiques, les DOE ont généralement été fixés par une estimation des débits d’étiage naturels. Sur les dernières années, et en particulier pour les dix DOE modifiés dans le cadre du SDAGE 2021-2027, leur révision a été réalisée sur la base d’études de bassins, prenant en compte les caractéristiques écologiques des milieux : caractéristiques hydrauliques (vitesses, franchissement des tronçons, etc.) et estimations de l’habitat des espèces présentes. L’intégration d’aspects écologiques dans la démarche a souvent contribué à objectiver les débats.