Les usages anthropiques de l’eau en Occitanie face au changement climatique

Julie FABRE (RECO – consultante)

Les usages et prélèvements en eau en Occitanie aujourd’hui

On classe généralement les usages de l’eau en trois grandes catégories : domestique (eau potable), agricole (en particulier irrigation), industriel ou énergétique. En Occitanie, les prélèvements pour l’eau potable, liés dans le passé récent à une forte croissance démographique sur les zones littorales et en Haute Garonne, et caractérisés par des pics saisonniers importants liés au tourisme, apparaissent stabilisés depuis les années 2000 malgré une croissance démographique dynamique.

Les prélèvements pour l’irrigation, fortement variables dans le temps et dans l’espace, dépendent des dynamiques agricoles locales et, plus récemment, des travaux d’amélioration de l’efficience (notamment sur les canaux historiques). Les usages de l’eau en Occitanie sont en effet caractérisés par un important patrimoine de canaux aménagés pour le transfert d’eau brute, avec un réseau de 5417 km de « canaux et chenaux », concentrés principalement dans la plaine du Roussillon, l’arrière-pays languedocien, les terrasses de l’Adour et le Tarn-et- Garonne. Certains canaux ont fait l’objet d’importants travaux de rénovation, induisant une baisse marquée des prélèvements associés mais également des effets connexes liés à la suppression des fuites le long des canaux (dessèchement de milieux humides, baisse de niveaux phréatiques) (Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée- Corse, Agence de l’Eau Adour-Garonne et Région Occitanie, 2017).

Les usages industriels sont relativement peu développés dans la région. Approximativement, les trois-quarts des volumes prélevés dans le département du Gard sous le libellé « industries et usages économiques » le sont au niveau de la prise d’eau dans le Rhône par la société du Bas-Rhône et du Languedoc, pour une distribution à des usages et localisations variés. L’usage hydro-électrique n’est pas présenté ici, il est abordé dans le chapitre enjeu Énergie. Enfin, les prélèvements d’eau à destination de la production d’énergie hors hydro-électricité (non représentés sur la carte) sont peu nombreux dans la région, l’usage principal étant la centrale nucléaire de Golfech dans le Tarn-et-Garonne (figure 3.6).

Figure 3.6. Volumes prélevés pour les usages d’eau potable, d’irrigation et d’industries/activités économiques par département selon la Base de données Nationale des Prélèvements en Eau (en ligne), moyenne sur les années 2012 à 2018.

NB : l’importance des prélèvements en eau dans le département du Gard relativement à la région dans son ensemble est due en grande partie par le prélèvement dans le Rhône pour le canal du Bas-Rhône, par la société d’aménagement du Bas Rhône et du Languedoc (BRL).

(Source : Fabre, 2021, carte produite pour le CROCC. Données : Prélèvements : Base de données Nationale des Prélèvements en Eau ; Surfaces irrigables : Recensement Général Agricole 2010)

Prospectives sur les usages de l’eau

Plusieurs exercices de prospective sur l’évolution des usages anthropiques de l’eau ont été menés en Occitanie, dont les projets Vulcain dans les Pyrénées-Orientales, Garonne 2050 et Adour 2050, GICC REMedHE dans le bassin du fleuve Hérault, Aguamod dans le sudouest européen, incluant le bassin de la Garonne et des fleuves côtiers méditerranéens, Gard Eau & Climat 3.0, et quelques exercices de prospective à 2030 dans les études sur les volumes prélevables (EVP). Ces dernières ont pour objectif d’évaluer des objectifs quantitatifs en des points de référence pour les eaux de surface et pour les eaux souterraines. Elles fournissent les éléments qui doivent permettre un ajustement des autorisations de prélèvement d’eau dans les rivières ou les nappes concernées, en conformité avec les ressources disponibles et sans perturber le fonctionnement des milieux naturels. Elles précèdent une concertation qui doit aboutir à la réalisation de plans de gestion de la ressource, comprenant des actions de réduction des prélèvements d’eau.

Aucune tendance généralisable ne se dégage de l’ensemble de ces exercices de prospective. Il est néanmoins intéressant d’étudier les grands facteurs déterminants des demandes en eau et leurs poids relatifs dans les scénarios prospectifs. Ceux-ci sont multiples, contrastés au sein du territoire de l’Occitanie, et particulièrement incertains.

À partir des travaux de Rinaudo et Neverre (2019) et des éléments issus des différentes études prospectives sur les demandes en eau (projet Vulcain, Garonne 2050, Stratégie Eau & Climat 3.0 du département du Gard), la figure 3.7 récapitule, pour les demandes en eau potable et d’irrigation, les principales composantes intervenant dans leur calcul, et les facteurs influençant ces différentes composantes. De nouveaux usages liés au rafraichissement des villes (végétalisation, brumisateurs, etc.) sont également à prévoir mais sont difficilement quantifiables. Concernant les usages industriels et pour la production d’énergie, peu de données de projection sont disponibles, et les travaux existants considèrent généralement une demande stable ou en baisse (amélioration des procédés) dans les scénarios tendanciels.

Si un impact net du changement climatique sur les besoins en eau pour l’irrigation est à noter (hausse des besoins due à l’augmentation de l’évapotranspiration), de nombreux autres facteurs auront un poids similaire dans l’évolution de la demande et des prélèvements en eau agricole. Ainsi sur le bassin versant de l’Hérault, dans le secteur du canal de Gignac, la demande en eau d’irrigation pourrait augmenter de 11 à 48 % du fait du changement climatique seul, à horizon 2050. En revanche, en ajoutant au changement climatique un scénario tendanciel d’évolution des surfaces irriguées (+65 %) et de nette amélioration de l’efficience de la gestion du canal et des modes d’irrigation, la demande pourrait baisser de 21 à 39 % en été (Grouillet et al., 2015).

Figure 3.7. Principales composantes des demandes en eau domestique et d’irrigation et leurs facteurs d’influence. Les facteurs en rouge (vert) sont positivement (négativement) corrélés à la demande ; les facteurs en gris ont une influence indirecte et peuvent induire une baisse ou une hausse de la demande.
(Source : Fabre, 2021, à partir des travaux de Rinaudo et Neverre, 2019 et des éléments issus des différentes études prospectives sur les demandes en eau (projet Vulcain, Garonne 2050, Stratégie Eau & Climat 3.0 du département du Gard))

a) En moyenne, une augmentation du revenu de 10 % génère une hausse de la consommation de 4 %
b) Si le climat semble avoir un impact limité sur les usagers des zones urbaines denses (pas de jardin, ni de piscine), la demande des usagers en maisons individuelles pourrait augmenter de l’ordre de 10 % avec le changement climatique (menant à une hausse de 4 à 5 % de la demande totale pour des agglomérations telles que Montpellier ou Perpignan). A noter néanmoins que la hausse serait concentrée en été et pourrait augmenter le pic de consommation.

Les équilibres besoins-ressources et les options d’adaptation envisagées pour les usages

Les travaux réalisés à ce jour ont pour principal objet le partage des volumes d’eau disponibles entre les différents usages et le respect des débits environnementaux, lesquels sont définis comme une valeur imposée réglementairement afin de préserver un écoulement minimum dans un cours d’eau pour assurer les services qui en dépendent (Garonne 2050, les EVP, REMedHE…). Ils montrent des difficultés, dès l’horizon 2050 voire 2030, à conjuguer satisfaction des demandes et respect des débits environnementaux (figure 3.8). Certains travaux s’intéressent également à l’impact socioéconomique de l’insatisfaction des demandes en eau, comme le projet Aguamod, avec le calcul d’indicateurs tels que la productivité de l’eau des secteurs primaire, secondaire et tertiaire (résultats non publiés à ce jour).

Si des travaux approfondis sur le potentiel d’amélioration des équilibres besoins-ressources par l’adaptation des usages sont rares, quelques études ont montré que seule une combinaison de mesures ambitieuses découplant demandes en eau et développement territorial pourrait résorber les déficits à moyen terme (Fabre et al., 2016). Dans les scénarios tendanciels de demande en eau, les améliorations de rendements et d’efficience de l’irrigation sont généralement considérées comme étant le maximum économiquement faisable. Ce sont donc d’autres mesures de gestion de la demande qui gagneraient à être étudiées comme les pratiques d’irrigation, l’amélioration de la rétention en eau des sols, la baisse de la consommation d’eau des ménages (équipements et comportement hydro-économes, jardins méditerranéens), ou encore des mesures plus structurantes comme l’évolution des assolements et de l’intensivité en eau de l’agriculture, la densification de l’habitat, etc.

Enfin, il parait indispensable de travailler à une connaissance fine des usages et de leur vulnérabilité au manque d’eau (quels besoins pour quels usages ? Quel impact économique, social, politique, territorial du manque d’eau ? Quelles alternatives possibles, quels soutiens publics envisageables pour modifier les usages ?), ainsi que des flux d’eau au sein des bassins versants (relations amont-aval, retours au milieu et usages/milieux en dépendant, liens entre les flux d’eau bleue et d’eau verte, etc.) afin d’alimenter une concertation ambitieuse autour d’une répartition des usages de l’eau en ligne avec des objectifs territoriaux partagés.

Figure 3.8. Étapes du cycle d’usage de l’eau (cas général d’un usage ex-situ). (Source : Calianno et al., 2017)

Quelques définitions

On entend ici par usage de l’eau une catégorie d’emploi d’eau, classée selon l’objectif voulu. On peut distinguer les usages ex-situ, qui détournent l’eau du milieu naturel et dans lesquels les actions de prélèvement et de restitution sont séparées dans l’espace et dans le temps, des usages in situ, qui ne détournent pas l’eau du milieu naturel, mais utilisent sur place certaines de ses fonctions. Nous proposons ici le schéma de Calianno et al. (2017) pour clarifier les termes relevant des usages ex-situ. Le système de ressources est entendu comme « les réserves d’eau disponible d’un point de vue technique et économique dans le milieu naturel ». À noter que l’eau utilisée peut être inférieure à la demande. NB : l’eau bleue est celle qui transite rapidement dans les cours d’eau, les lacs, les nappes phréatiques, et dans les réseaux d’adduction après prélèvement. L’eau verte est stockée dans le sol et la biomasse et l’eau bleue est transformée en eau verte par l’irrigation.