Quelles données et informations pour l’adaptation des villes ?

Eric BARBE (INRAE – TETIS), Xavier BRIOTTET (ONERA), Julia HIDALGO (CNRS – LISST), Gabriel POUJOL (OPenIG), Christiane WEBER (CNRS – TETIS), Valéry MASSON (Météo-France et CNRS – CNRM)

Comprendre la ville et son fonctionnement nécessite l’utilisation de données d’origines multiples et hétérogènes dont l’accessibilité est adaptée à une grande diversité d’interlocuteurs : recherche, collectivité locale, industriels… De plus, la compréhension du fonctionnement de la ville est réalisée à différentes échelles spatiales (la ville et son environnement, le quartier, le bâtiment…) et temporelles (extension urbaine, végétation urbaine, modes de vie et de déplacement…) dépendant ainsi de l’objet d’intérêt. Ces informations sont essentielles pour aider et améliorer la gouvernance d’une ville et du bien-être de ses habitants (santé, adaptation au changement climatique…).

Plusieurs niveaux d’informations existent : données « sur étagères » mobilisables par tous (p. ex. base de données (BD) cartographiques de l’IGN), données existantes mais nécessitant des traitement supplémentaires (p. ex. BD imperméabilisation des sols), données issues de la recherche encore en réflexion (ex Projet ThermoVille, MApUCE). Ces informations sont issues de différentes sources : structures partagées, collaboratives ou opérationnelles (OPenIG), réseaux de mesures (p. ex. météo), mesures aéroportées ou satellitaires, modélisation urbaine ou climatique.

Les données disponibles peuvent être organisées en quatre grandes classes :

  • les bases de données urbaines comprenant l’information 3D d’une ville, le type de matériau et l’occupation du sol (perméable ou imperméable), les propriétés optiques mais également des indicateurs multifonctionnels, socioéconomiques, santé (confort, bien-être) ;
  • les données de télédétection à même de couvrir l’ensemble de la ville et de son environnement donnant accès à des informations sur l’organisation générale de la ville, la structure des bâtiments, de la végétation, des îlots de chaleur urbain suivant la résolution spatiale et le domaine spectral utilisés ;
  • les réseaux de mesures continues dans la ville comme les stations météorologiques et les mesures de pollution de l’air ;
  • les données climatiques et microclimatiques issues de la modélisation numérique.

Bases de données urbaines et d’occupation du sol

Plusieurs jeux de données sont disponibles :

1) Le suivi de l’artificialisation par images satellitaires en Occitanie : le projet ArtiSols

Dès 2007 des travaux ont été engagés en région Languedoc- Roussillon à la demande de la DRAAF (Direction Régionale de l’Agriculture, de l’Alimentation et de la Forêt) pour quantifier et qualifier l’artificialisation du territoire. Cette demande traduisait une préoccupation d’objectivation et de suivi de l’artificialisation, dans la perspective de préservation des sols à fort potentiel agronomique (identification et sécurisation d’un potentiel stratégique de production agricole).

L’image satellitaire a été retenue comme support de travail compte tenu de sa capacité à couvrir un large territoire en quelques dates, permettant d’obtenir une « photographie » continue et cohérente en termes d’occupation du sol. Ces travaux ont été étendus à l’ensemble du territoire Occitanie dans le cadre d’un projet Région – FEDER (AAP Recherche et société 2018) piloté par l’UMR TETIS (Maison de la télédétection, Montpellier) : le projet ArtiSols. La DRAAF, la Région Occitanie et la société BRL ont activement participé à ce projet en tant que prescripteurs des besoins pour les services de l’État, les collectivités et les aménageurs. Les résultats (couches d’informations SIG, indicateurs synthétiques) seront en libre diffusion dès la fin du projet (2021).

Comme en 2007, les travaux ArtiSols (2018 – 2021) comportaient également une cartographie d’indices de potentiel agronomique et de fonctionnalité des sols (UMR LISAH, UMR ECOOMP) permettant d’appréhender la « qualité » des sols. Une chaine de traitement a été conçue spécifiquement pour la cartographie des espaces artificialisés. Entièrement automatisée, elle mobilise des outils et méthodes d’intelligence artificielle (deep learning, machine learning) pour la classification d’images satellitaires à très haute résolution spatiale (Spot 6/7, 1,5m). Elle a permis de produire en une dizaine de jours de traitements automatiques 1) une cartographie de bâtiments résidentiels et d’activité (figure 5.14) et 2) une occupation du sol simplifiée (figure 5.15), et ce, à l’échelle de la région Occitanie et pour 5 millésimes (2015, 2016, 2017, 2018, 2019).

Ces résultats ont été évalués (qualité des résultats de classification, calcul de métriques de précision spécifiques pour les bâtiments) afin de garantir leur niveau de fiabilité. Ces produits (cartographie des bâtiments, occupation du sol), aisément reproductibles à un pas de temps annuel (couverture Spot 6/7 annuelle disponible gratuitement pour les acteurs publics auprès de DINAMIS) et de façon automatisée (10 jours pour traiter la région Occitanie sans intervention d’un opérateur) participent à la connaissance et au suivi de facteurs importants du changement climatique.

Figure 5.14. Bâtiments résidentiels et d’activité
(Source : Cf. auteurs de la contribution)

Figure 5.15. Occupation du sol simplifiée.
(Source : Cf. auteurs de la contribution)

Figure 5.16. Échelles spatiales de la base de données urbaine MApUCE (a) bâtiment, (b) bloc et (c) îlot urbain aussi appelé unité spatiale de référence, USR
(Source : Hidalgo et al., 2019)

2) Une base de données typo-morphologique issue des projets ANR-MApUCE et PÆNDORA

Trois échelles spatiales sont disponibles : la base de données urbaine contient un ensemble d’indicateurs calculés à trois échelles spatiales correspondant au bâtiment, au bloc de bâtiments et à l’îlot (figure 5.16) sur la base d’un jeu de données d’entrée de 2015 fourni par les instituts français de statistique (INSEE – Recensement) et de géographie (IGN – BDTOPO, BD Parcellaire). Les îlots urbains sont délimités par le réseau routier, le réseau hydrographique et d’autres éléments segmentant l’espace (Bocher et al., 2018).

Les indicateurs à l’échelle de l’îlot sont disponibles en accès libre en ligne. 64 indicateurs sont disponibles au total, organisés en 5 catégories : le nombre d’éléments (bâtiments, blocs), des caractéristiques de surface (densité surfacique des bâtiments, végétation et routes par exemple), les distances (distance entre les bâtiments, entre les bâtiments et les routes pour chaque îlot), la forme (volume du bâtiment, compacité du bloc et hauteur moyenne du bâtiment par îlot) et finalement la catégorie « autres » rassemblant des indicateurs pertinents dans le cadre des études de microclimat urbain et architecturales (volume passif, direction principale, cours intérieures). À partir de ce jeu d’indicateurs morphologiques et d’occupation du sol, plusieurs indicateurs dérivés ont été produits. Leur utilisation permet de faciliter la compréhension du tissu urbain à partir d’une analyse architecturale des bâtiments typiques de France associée aux indicateurs morphologiques précédents. Tornay et al. (2017) définissent 10 archétypes architecturaux représentatifs de la plupart des bâtiments français et attribuent une classe de typologie urbaine à chaque bâtiment de la BD MApUCE.

À l’échelle de l’îlot, le pourcentage de chaque type est ainsi disponible (figure 5.17). Une typologie complémentaire a également été produite par Hidalgo et al. (2019) prenant en compte l’agencement des bâtiments au sein des quartiers et leurs impacts microclimatiques potentiels. Cette typologie en Zones Climatiques Locales, appelée en anglais « Local Climate Zones, LCZ » (figure 5.17) est couramment utilisée par la communauté de chercheurs en climatologie urbaine et commence à être utilisée au niveau opérationnel par plusieurs villes en France comme Paris, Nancy ou Toulouse (Dumas, 2017).

Figure 5.17. Archétypes architecturaux et zones climatiques locales sur le périmètre de Toulouse Métropole
(Source : Hidalgo et al., 2021)

Données climatiques mobilisables à l’échelle urbaine sur la région Occitanie

Information climatique non spatialisée

Météo France propose actuellement une analyse de l’évolution observée passée des températures, des précipitations et des phénomènes extrêmes sur le portail de données d’observation du climat de Météo France, Climat HD. D’une manière complémentaire, le projet de recherche ADEME-PÆNDORA a permis de caractériser le contexte climatique local à travers des types de temps. Il s’agit alors d’identifier les situations météorologiques les plus fréquentes sur le territoire. Du fait de leurs probabilités d’occurrence, elles permettront par la suite d’appuyer des priorités d’action en fonction des enjeux urbains qu’elles soulèvent (par exemple, l’amélioration du confort d’été). Une analyse des types de temps météorologiques a été faite pour Toulouse, Montpellier, Nîmes et Perpignan (disponible sur demande).

Information climatique spatialisée

Le manque de connaissances fines à l’échelle territoriale, à la fois sur les effets locaux de l’évolution du climat régional et global à long terme et sur les modifications microclimatiques engendrées par l’urbanisation en elle-même, rend difficile la prise en compte du sujet à part entière dans l’urbanisme. Plusieurs avancées dans ce sens ont été produites ces dernières années :

  • L’accès à des données atmosphériques à haute résolution spatiale issues d’un réseau d’observation à l’échelle urbaine reste rare dans les villes françaises. Sur la région Occitanie, seule Toulouse a mis en place depuis 2018 (Dumas, 2021) un monitoring du climat local en temps réel. Il est directement géré par la collectivité et les données sont consultables sur leur plateforme Open Data.
  • Quelques campagnes de mesure ponctuelles plus ou moins longues ont également été réalisées sur Toulouse (à l’échelle urbaine CAPITOUL, de février 2004 à mars 2005 ; à l’échelle du quartier, PIRVE 2008, EUREQUA 2015, CAMCATT 2021).
  • Les données de télédétection ou aéroportées ont le grand avantage de fournir une couverture spatiale très riche, mais l’accès uniquement à des variables caractérisant les surfaces urbaines (toitures et chaussées) représente une vraie limite pour la production d’indicateurs d’impact sur la santé ou la caractérisation spatiale et temporelle de phénomènes microclimatiques comme l’îlot de chaleur urbain qui sont caractéristiques de l’atmosphère à l’intérieur de la rue. Disposer d’une station météorologique en centre-ville d’une ville ou d’un village permettrait déjà d’y quantifier l’intensité maximale de l’îlot de chaleur urbain.

Enfin, les villes offrent des opportunités d’accès à des données connectées issus de nombreux systèmes, comme les stations météorologiques citoyennes connectées (mais très souvent hors abri donc trop chaudes quand exposées au soleil) ou même des données provenant des capteurs de température de l’air des voitures connectées. L’exploitation (et même l’accès) à de telles données relève encore complètement du champ de la recherche, mais ouvre des perspectives d’utilisation à long terme, d’ici 5 ou 10 ans.

Information de température de surface spatialisée

Tout de même, la grande disponibilité de données satellitaires en France a entrainé l’usage par plusieurs collectivités de ce type de données pour leurs premières études de vulnérabilité microclimatique. Le choix des données de télédétection dépend de l’échelle d’observation, régionale ou locale :

  • A l’échelle régionale, les instruments de résolution spatiale kilométrique (Meteosat, AVHRR-NOAA) sont adaptés pour suivre l’extension urbaine sur de grandes périodes de temps car les acquisitions sont disponibles depuis plusieurs dizaines d’années. De plus, cette famille d’instruments assure une prise de vue sur la même zone au moins une fois par jour, rendant possible l’identification des principaux ilots de chaleur de surface dans une ville.
  • A l’échelle locale, les instruments de moyenne résolution typiquement entre 50 et 100 m tels que Landsat, ASTER ou plus récemment ECOSTRESS dans le domaine infrarouge thermique fournissent des cartographies d’îlot de chaleur mieux résolues à l’échelle du quartier. Leurs principales limitations résident dans leur revisite faible de l’ordre de quelques images par Figure 5.17. Archétypes architecturaux et zones climatiques locales sur le périmètre de Toulouse Métropole (Source : Hidalgo et al., 2021) 123 an. En complément de ces données, la cartographie des sols urbains ou le suivi de sa végétation arbustive nécessitent l’utilisation de données mieux résolues spatialement (de 5 à 10 m) comme Sentinel-2 (revisite 3 jours), Venus (revisite 1 jour sur Toulouse) ou SPOT6/7 (revisite 1 jour). Enfin, le système Pléiades donne accès à la géométrie des bâtiments par ses capacités stéréoscopiques.

Les données citées (Landsat, Venus, Spot et Sentinel) sont disponibles en ligne en unité de réflectance dans le domaine visible et proche infrarouge. Les produits en température de surface Landsat, Meteosat, AVHRRNOAA et ECOSTRESS sont disponibles sur leur site de distribution de données respectifs. Enfin, plusieurs campagnes aéroportées ont été réalisées sur des villes d’Occitanie soit à des fins de recherches (campagnes CAPITOUL, UMBRA, AI4GEO sur Toulouse, résolution spatiale typique entre 0,50 à 2 m) soit à la demande d’une communauté pour par exemple la construction de modèle numérique de surface précis (à l’aide d’un Lidar ou par stéréoscopie, cartographie IGN). Ces données sont accessibles en formulant une demande auprès du propriétaire des données.

Information microclimatique et climatique spatialisée via la modélisation numérique

L’accès à de la modélisation climatique à l’échelle urbaine à des résolutions horizontales intéressantes pour des applications en planification urbaine (~ 250 m) est une réalité depuis une dizaine d’années pour des applications de recherche, et ce type de modélisation commence à être disponible pour des projets de climatologie urbaine appliquée plus opérationnels (Météo France, 2021). Des simulations microclimatiques ont été produites dans le cadre du projet de recherche MApUCE pour une cinquantaine de villes en France dont Toulouse, Montpellier et Nîmes (Gardes et al., 2020).

Dans ce cadre des informations concernant l’îlot de chaleur urbain pour deux situations météorologiques (types de temps) favorables à son développement ainsi que des informations sur la direction et l’intensité du vent sont disponibles. Finalement, Météo France propose une caractérisation du climat futur (températures, précipitations, phénomènes extrêmes) à partir de simulations climatiques. Ces simulations offrent une vision des perspectives climatiques à plusieurs horizons temporels (proche, moyen, lointain) et selon différents scénarios de lutte contre les émissions de CO2 (pessimiste, intermédiaire, optimiste). On retrouve ces informations sur le portail dédié des simulations climatiques de Météo France, DRIAS les futurs du climat.

Les bases de données régionales (OPenIG)

Par l’intermédiaire de son Infrastructure de Données Géographiques et Ouvertes (IDGO), OPenIG (plateforme régionale associative pour l’information géographique en Occitanie) rassemble de nombreux jeux de données au sein de la région Occitanie. En respectant les prescriptions règlementaires spécifiques à chaque jeu de données, OPenIG diffuse les référentiels nationaux (BD Forêt, référentiel à grande échelle et ortho-photographies de l’IGN, fichiers fonciers de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) par exemple) et de nombreux jeux de données liées aux thématiques de travail de ses membres, dont les origines varient : établissements publics, collectivités et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), État, associations, entreprises, personnes physiques, etc. Les jeux de données sont recensés et visualisables dans le catalogue en ligne de l’IDGO d’OPenIG et disponibles en téléchargement et en flux Web Map Service (WMS) et Web Feature Service (WFS) élaborées par l’Open Geospatial Consortium (OGC) sous licence ouverte ou en accès restreint aux membres de l’association à l’initiative des membres d’OPenIG qui en sont les dépositaires.

Certains de ces jeux de données, de couverture régionalement hétérogène, apportent des éléments de contexte qui peuvent localement alimenter une démarche de suivi du changement climatique. La figure 5.18 présente les jeux de données disponibles, classés ici en trois soustypes de facteurs de suivi et de contextualisation du changement climatique. Ces données couvrent des périmètres variés à des granularités et des millésimes très divers, mais ils témoignent de la richesse des processus de remontée déjà en place. Sur la base de ces expériences, en fonction de besoins spécifiés et validés par la gouvernance de l’association, OPenIG peut exercer son rôle de courroie de transmission entre des dynamiques régionales, locales et nationales, à travers l’animation territoriale. Il s’agit de programmer des actions thématiques incitatives pour amener les membres d’OPenIG à publier sur l’IDGO les données dont elles disposent – sous la licence de diffusion qui leur convient – en vue d’alimenter le suivi du changement climatique à l’échelle régionale.

Encadré 5.B. Les bases de données socio-économiques

Des données sont actuellement accessibles à partir de plateformes en ligne comme l’INSEE, à partir desquelles des informations sur la population, les activités, le logement, etc. sont à disposition moyennant quelques choix de critères. La législation actuelle dans le cadre de l’Open data et de l’Open science poussent à la mise à disposition d’un grand nombre de données. Cependant beaucoup reste à faire auprès de différents acteurs, comme la collecte et la structuration de données de sol opérées par les bureaux d’étude, ou encore les informations issues d’études de recherche ou d’opinion, mêlant données qualitatives et quantitatives. En effet, malgré des efforts réels des institutions de recherche au travers d’infrastructures de recherche comme Huma-Num, ou encore PROGEDO centré sur les données d’enquête, de nombreuses informations au niveau local nécessitent encore des efforts de structuration et d’accessibilité.

Figure 5.18. Sous-types de facteurs de suivi et de contextualisation du changement climatique.
(Source : OPenIG)