L’intégration des enjeux d’adaptation dans l’urbanisme

Geneviève BRETAGNE (AUAT – LISST), Sinda HAOUES-JOUVE (UT2J – LISST)

On observe depuis une dizaine d’années une montée en puissance de la problématique de l’adaptation au changement climatique dans le champ de la planification et de l’aménagement urbains. Cependant, bien que régulièrement confortée par l’évolution de la législation, et en dépit de pratiques urbanistiques riches et plurielles, l’articulation entre urbanisme et adaptation demeure discrète en comparaison avec les enjeux d’atténuation qui semblent s’enraciner plus aisément dans les politiques urbaines. Pourtant, plusieurs projets de recherche impliquant des praticiens de l’urbanisme ont été menés ces dernières années en Occitanie sur l’adaptation. Prenant souvent comme terrain d’étude l’agglomération toulousaine, ils se sont focalisés pour la plupart sur l’enjeu du confort thermique des espaces urbains, en lien avec le microclimat urbain dans une perspective de changement climatique. La collaboration entre chercheurs et praticiens y a pris des formes très diverses et a impacté de manière variable la pratique urbanistique.

Planification urbaine

Sur le volet de la planification urbaine, le projet MApUCE (Modélisation appliquée au droit de l’urbanisme : climat urbain et énergie, ANR, 2014-2018) a contribué à cet effort de deux manières : d’une part en développant une méthodologie générique de production de données et d’outils directement exploitables par les urbanistes, et d’autre part en accompagnant les praticiens dans l’effort d’intégration des enjeux climatiques dans le premier PLUi-H de Toulouse Métropole (2015-2019). Ce second volet qui a nécessité une collaboration étroite avec les services de la collectivité et avec l’Agence d’urbanisme de Toulouse (AUAT), a notamment permis d’enrichir le diagnostic territorial par des cartographies nouvelles (figure 5.13) permettant de lire le territoire à l’aune de ses caractéristiques et des enjeux climatiques. Ces cartes montrent les expositions différenciées du territoire et offrent des prises pour améliorer le confort thermique, constituant ainsi de réels outils d’aide à la décision qu’il serait possible de répliquer dans d’autres collectivités de la région. Un travail similaire est d’ailleurs en cours à Montpellier dans le cadre d’une thèse menée au laboratoire Lifam de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Montpellier, portant sur l’évaluation de l’impact des politiques de planification urbaine sur l’intensification et l’augmentation des îlots de chaleur urbain dans la métropole montpelliéraine.

Dans le prolongement de MApUCE, le projet PÆNDORA (Planification, adaptation, énergie : données territoriales et accompagnement, ADEME, 2017-2020) a visé la finalisation des outils de visualisation, d’extraction et d’exploitation des données urbaines et climatiques, couvrant toute la France, en accès libre et descendant à l’échelle de l’îlot urbain, afin qu’ils soient opérationnels pour les urbanistes. Ce projet s’est également attaché à améliorer les méthodologies d’accompagnement des praticiens dans l’élaboration de documents de planification « climatisés », en les adaptant aux modes de faire des urbanistes. Ce travail a été capitalisé sous la forme d’un guide méthodologique édité par l’ADEME et consacré à l’adaptation dans le champ de l’urbanisme.

Aménagement urbain

Sur le volet aménagement urbain, le projet IFU (IFU : Ilots de fraicheur urbains, ADEME, 2013-2015) a visé à accompagner Toulouse métropole et Oppidéa dans l’effort de limitation des risques de surchauffe urbaine dans le cadre du projet de la ZAC Montaudran Aérospace. Des ateliers de sensibilisation aux leviers d’action opérationnels d’atténuation des ICU ont été organisés, puis des scénarios d’aménagement ont été co-construits et simulés du point de vue de l’impact sur le confort climatique des espaces extérieurs. Ce travail de sensibilisation a été poursuivi et élargi à d’autres thématiques dans le cadre du projet CapaCités (des Connaissances aux Actions pour l’Adaptation des Cités, ADEME, 2014 – 2017) dans lequel les praticiens concernés étaient cette fois des architectes et des urbanistes privés, notamment du réseau professionnel l’APUMP (Association des professionnels de l’urbanisme Midi-Pyrénées).

La coopération entre chercheurs et praticiens mise en oeuvre au sein de tous ces projets témoigne incontestablement d’une montée en compétence climatique des acteurs de l’urbanisme, en particulier sur la question de l’adaptation. Par exemple, les praticiens de Toulouse Métropole et de l’AUAT ont capitalisé l’expertise acquise à travers plusieurs productions, notamment un guide de recommandations techniques à destination des services de la Métropole et des aménageurs/ promoteurs, et un atlas cartographique climatique à l’échelle du territoire métropolitain et de chacune de ses communes. Cette collaboration révèle en outre le rôle des acteurs relais, notamment les agences d’urbanisme qui jouent souvent le rôle de passeurs entre les scientifiques et les praticiens des collectivités locales.

Elle pose néanmoins la question de l’accès et surtout de l’appropriation des données et des outils climatiques par les praticiens. Les conditions d’un meilleur portage politique et de la diffusion de l’expertise acquise au-delà du premier cercle des personnes et/ou services impliqués dans les collaborations, restent elles aussi cruciales à explorer. La transversalité et la complexité du sujet font ressortir un besoin de développer d’autres savoirs et savoir-faire qualitatifs, pour partager plus largement un vocabulaire et un dessein communs en matière d’adaptation.

Figure 5.13. Exemple de cartes climatiques des zones à enjeux pour l’îlot de chaleur urbain nocturne et le niveau de stress thermique diurne. Des modélisations atmosphériques ont permis de produire une cartographie des zones climatiques locales (LCZ), associant un comportement climatique à chaque morphologie urbaine, ainsi qu’une cartographie du phénomène de l’îlot de chaleur urbain (ICU), modélisé en fonction des situations météorologiques locales les plus significatives.
(Source : Guide de recommandations « Prise en compte du climat dans la construction de la métropole de demain », 2020)