Carole DELENNE (UM – HSM), Gwladys TOULEMONDE (UM – INRIA Lemon)
Les journaux télévisés, les vidéos en ligne et les réseaux sociaux nous ont, depuis de nombreuses années, habitués aux images d’inondations catastrophiques, en particulier dans les zones habitées (voir chapitre-enjeu Santé). En Occitanie, les processus pluvieux peuvent être intenses et très localisés notamment pendant l’automne. Des masses d’air humide provenant de la Méditerranée, dont l’eau est encore chaude, provoquent ces pluies en se déplaçant vers les contreforts de la chaine de montagnes des Cévennes. On parle alors d’événements « Cévenols ». L’urbanisation croissante des agglomérations s’accompagne de l’imperméabilisation des surfaces. Les pluies intenses qui pourraient s’infiltrer dans des sols naturels sont alors transférées dans les réseaux de collecte et les bassins de rétention qui peuvent déborder localement et de façon très rapide. La prise de conscience des responsables politiques s’est notamment traduite par l’adoption, au niveau Européen, de la Directive Cadre Inondation, dont une des dispositions fait obligation aux collectivités de disposer de cartes de risque d’inondation à jour sur leur territoire.
Les nombreux acteurs impliqués dans la gestion du risque d’inondation (collectivités locales, services de secours et de protection civile, assureurs…) sont demandeurs de solutions qui leur permettraient de le gérer plus efficacement. Avant et après la crise, il est nécessaire de mettre en place des mesures de prévention et de mitigation des risques (aménagement de zones de rétention, définition des périmètres d’inondabilité…). Pendant la crise, il faut pouvoir gérer les communications, l’organisation des secours, la protection des zones sensibles. Pour cela, l’idéal serait de prévoir en temps réel comment l’événement pluvieux va se comporter dans les minutes suivantes et comment l’eau va s’écouler dans la ville.
Les bureaux d’études disposent d’outils de modélisation qui utilisent une représentation de l’espace appelée « maillage ». Chaque rue, immeuble, rond-point… est représenté en utilisant un certain nombre de mailles. Un logiciel hydraulique calcule alors les hauteurs d’eau et les vitesses dans chacune de ces mailles, à des intervalles de temps très courts à partir de l’information de la pluie.
Cependant, plusieurs difficultés empêchent encore la prévision efficace et rapide des inondations. En Occitanie, les pluies intenses et extrêmement variables à la fois dans l’espace et le temps sont difficiles à mesurer et le maillage fin du logiciel hydraulique est très long à mettre en place et implique des temps de calcul prohibitifs (parfois beaucoup plus long que le temps réel).
Pour pallier le manque de données mesurées, des scénarios de pluies réalistes sont déterminés grâces à des modèles de simulation (stochastiques) spécifiques. Ceux-ci permettent de représenter l’évolution dans le temps et l’espace d’une pluie « possible », ce qui est particulièrement intéressant pour simuler des évènements extrêmes, par définition peu souvent mesurés et qui restent encore difficiles à définir et quantifier. Concernant la nécessité d’accélérer les calculs, de nouveaux modèles hydrauliques ont récemment été développés pour permettre de s’affranchir de l’étape de maillage précis de la zone d’intérêt. Ceux-ci utilisent des mailles plus grandes que la largeur des rues tout en gardant l’information de la « place disponible » à l’eau pour s’écouler (une sorte de « porosité » de la maille). Les résultats, un peu moins précis, sont obtenus jusqu’à 1000 fois plus vite qu’avec les modèles classiques (Guinot, 2012 ; Guinot et al., 2018). Les modèles stochastiques ou physiques utilisés jusqu’ici sont également rejoints depuis peu par l’intelligence artificielle dans l’objectif d’accélérer encore les temps de calcul et d’améliorer la précision des modèles à grandes mailles (figure 5.8).
Quels que soient les modèles utilisés, ils nécessitent des données difficiles à estimer (pluie, topographie précise, carte d’occupation du sol pour identifier les zones d’infiltration ou de ruissellement…) ; il est donc primordial de prendre en compte la propagation des incertitudes liées à ces données dans les résultats des modèles. Les acteurs de la gestion du risque inondation et le grand public, qui souhaitent des informations claires et tranchées doivent aussi être sensibilisés à la difficulté que représente l’étude précise de ce risque.

Figure 5.8. Comparaison d’un modèle classique et à grandes mailles en milieu urbain pour une pluie de 4h. Les durées de calcul sont de 4h environ pour le modèle fin et 2min pour le modèle « à porosité ». Bien que moins précis, les résultats du modèle à porosité sont du même ordre de grandeur
(Source : modèles développés par des chercheurs des laboratoires HSM et IMAG, membres de l’équipe Inria Lemon)