Adaptation climatique par la végétalisation

Karine ADELINE (ONERA), Sophie FABRE (ONERA – DOTA), Xavier BRIOTTET (ONERA), Christiane WEBER (CNRS – TETIS)

Tous les processus écologiques sont affectés par le climat : la distribution des organismes, le développement des sols, la disponibilité de la ressource en eau ou encore la variabilité temporelle et spatiale des processus écologiques. Le changement climatique influence donc tous ces processus et éléments avec plus ou moins de vigueur. Cependant la végétation en milieu urbain peut favoriser une atténuation des effets du changement climatique sur la santé en améliorant le confort du citadin (qualité de l’air, lien social, aménités), les équilibres naturels et la qualité de l’environnement (biodiversité, régulation thermique, qualité de l’air, écoulement des eaux et protection des sols) et l’économie urbaine (par la valorisation du bâti, des produits végétaux, l’agriculture urbaine et l’attractivité du territoire). La végétation rend donc divers « services » au travers de son fonctionnement naturel ou de sa mise à disposition dans l’espace urbain.

La végétation comme contributeur microclimatique et climatique

Le rôle de la végétation dans la régulation du climat est largement reconnu notamment à l’échelle de la ville car il permet d’atténuer l’influence de l’activité humaine sur son environnement.

• Îlot de chaleur / îlot de fraicheur

Suite à la vague de chaleur en Europe en 2003, l’opinion publique a pris conscience de l’impact du réchauffement climatique dans les villes qui s’est manifesté par un risque composite « vague de chaleur et îlot de chaleur urbain (ICU) ». L’intensité des ICU dépend de la météorologie, des surfaces et des formes urbanisées, des émissions d’origine humaine (activités transport, industrielles, chauffage), de l’heure, de la journée, de la saison, etc. La présence de végétal tempère les effets d’ICU et peut contribuer à une meilleure efficience énergétique des bâtiments. La localisation des ICUs permet aux gestionnaires des villes d’aménager les zones urbaines les plus sensibles à ce phénomène avec des îlots de fraicheur définis par une zone végétale, dont l’action rafraichissante permet d’éviter ou de contrer directement ou indirectement les effets des îlots de chaleur. Ainsi, la présence de végétation contribue, par l’ombrage et/ou l’évapotranspiration, à rafraichir l’air.

L’ombre des arbres évite que la surface du sol ne chauffe trop et procure une sensation de fraicheur au promeneur. L’évapotranspiration se produit naturellement lors de la photosynthèse par 1) la transpiration des plantes qui, après avoir absorbé l’eau du sol pour en capter les éléments nutritifs, en relâchent une partie par leurs feuilles et 2) l’évaporation de l’eau contenue dans le sol. Afin de s’évaporer, cette eau absorbe la chaleur de l’air ambiant, causant ainsi un refroidissement localisé. Grâce à l’évapotranspiration, un arbre mature peut perdre jusqu’à 450 litres d’eau par jour et engendrer un rafraichissement important, équivalent à cinq climatiseurs fonctionnant pendant 20 heures (Liébard et al., 2005). La présence d’arbres autour d’un bâtiment augmente la rugosité générale de la surface, réduisant d’une manière générale la vitesse du vent et sa force de pénétration. Cet effet réduit les entrées d’air chaud dans les bâtiments en été et d’air froid en hiver et permet une efficience énergétique accrue. Néanmoins, en situation caniculaire avec faible vent cette ventilation diminuée peut être problématique.

• Drainage des eaux de pluie

Les espaces végétalisés jouent un rôle important dans la gestion des eaux de pluie. L’imperméabilisation des sols en ville limite fortement l’infiltration des eaux de pluie, l’eau ruisselle immédiatement et rejoint les écoulements superficiels aboutissant via les infrastructures dans les systèmes d’épuration et dans la nature. Or les eaux de ruissellement se chargent de matières en suspension (mégots, plastiques, déchets en tous genres) et de polluants (hydrocarbures) sur leur parcours. De plus, les volumes d’écoulements lors de fortes pluies peuvent provoquer des inondations par difficultés d’écoulement ou remontée d’eau. Les espaces de végétation, les toitures végétalisées, les bois urbains, etc., représentent des surfaces perméables, favorisant l’infiltration de ces eaux pluviales, leur rétention et le ralentissement des écoulements.

• Séquestration du carbone

La photosynthèse des végétaux se caractérise par l’absorption du gaz carbonique et la production d’oxygène, elle est essentielle à la vie sur Terre. La séquestration de carbone par la végétation urbaine est importante pour les politiques environnementales locales. Elle est influencée par le taux de croissance, la mortalité, l’espèce et l’âge des arbres. D’une manière générale, la séquestration augmente avec la croissance de l’arbre jusqu’à ce que ce dernier arrive à maturité. À partir de ce stade et pendant toute la phase de sénescence, l’arbre commence à émettre des quantités de carbone. En 2015, une étude sur Montpellier a ainsi estimé à 14 967 tonnes de carbone/an séquestrés par les arbres urbains, soit 11,33kg/an/m2 (Bao, 2021). Cette séquestration diffère selon les espèces, à Montpellier le Sophora, le Frêne et le Platane sont les 3 essences dominantes.

Végétation et pollution

La végétation permet également de réduire la pollution de l’air, de l’eau ainsi que la pollution sonore.

• Filtration de l’air

La qualité de l’air est une préoccupation majeure en milieu urbain. De nombreux polluants sont concernés (SOx, NOx, COx, particules fines). Plusieurs travaux montrent que la végétation filtre les particules atmosphériques (dont les PM2,5) et absorbe les polluants (en particulier NO2 et SO2). À Montpellier entre janvier et décembre 2015, les arbres ont éliminé environ 498,89 t. de polluants (soit 108,7 t. de NO2, 378,4 t. de O3 et 11,8 t. de PM2,5) (Bao, 2021). Néanmoins, certaines particularités de fonctionnement peuvent s’avérer dommageables pour le citadin. En effet la végétation participe à la formation de l’ozone troposphérique en émettant certains composés organiques volatils (COV), or l’ozone est un polluant nocif pour la santé humaine, responsable notamment de pics de pollution estivaux en ville. De plus la végétation, plus particulièrement le pollen de certaines espèces, peut être source d’allergènes, affectant les voies respiratoires notamment.

• Traitement des eaux usées

Les zones humides, naturelles ou artificielles en milieu urbain permettent de faciliter les écoulements naturels, de proposer des zones de fraicheur et d’épurer les eaux usées (phytoremédiation).

• Réduction du bruit

Les surfaces végétales et non recouvertes permettent de réduire le niveau de bruit lié à la circulation notamment le long des réseaux routiers.

Augmentation et maintien de la biodiversité

En ville la végétation se développe sous contraintes, en alignement le long des réseaux, dans les parcs et jardins ou dans des zones délaissées en friches.

• Parc / Arbre d’alignement

Le réseau d’espace vert urbain est composé d’espaces publics (végétation implantée dans les rues, parcs publics…) et d’espaces privés (jardins résidentiels, terrains de golf…). Dans ces divers types d’espace, la végétation est soumise à diverses pratiques (tailles, arrosage…) selon les ressources disponibles (temps, finance) et la mobilisation des bonnes pratiques de gestion. Ces différences influent sur la structure, la composition et la distribution des communautés d’espèces végétales et animales dans le paysage urbain. La végétation constitue un support et relai incontournable d’une partie de la biodiversité en ville tout en contribuant à améliorer le cadre de vie des citadins. Elle participe à la trame verte urbaine en constituant des corridors pour une quantité d’espèces et joue un rôle clé dans le développement durable des villes (Grenelle de l’Environnement, 2007 ; ONU, WUP 2018 ; ANR VegDUD, 2007-2014).

Dans un contexte de changement climatique, la fréquence et l’intensité des sècheresses devraient augmenter, les arbres de rue pourraient ainsi être exposés à un risque croissant de mortalité lié au stress hydrique, exacerbé par les vagues de chaleur en ville (David et al., 2017) en plus des vecteurs de stress urbains plus traditionnels caractéristiques de ce milieu (air plus sec, polluants atmosphériques, maladies, sols moins riches et tassés, manque d’espace pour les racines…). De plus, certaines espèces d’arbres en ville représentent un biotope fragile soumis à des pressions anthropiques et climatiques croissantes (Grimm et al., 2008), alors que d’autres espèces invasives prolifèrent mieux dans ces conditions. Par ailleurs, l’espérance de vie des arbres en ville est réduite par rapport à ceux situés en milieux ruraux (Mullaney et al., 2015). Pour ces raisons, le suivi de l’état sanitaire des arbres est une action stratégique pour la protection des espaces verts en ville, et la prévention, afin de mettre en place des politiques environnementales adéquates (Nowak, 2018).

Pour remédier à la perte de biodiversité, construire des villes durables et limiter l’artificialisation des espaces naturels de leur territoire, les villes sont en demande d’outils pour évaluer la biodiversité à différentes échelles. La cartographie des espèces et notamment celle des essences arborées est un des outils disponibles d’aide à la décision (OAD) pour gestionnaires (Li, 2019). De nos jours, cette cartographie est encore souvent effectuée manuellement, via une campagne terrain ou par photo- interprétation, en utilisant Google Earth, la BD ORTHO ® (orthophotographies aériennes) ou des données issues des SIG (Système d’Information Géographique).

La ville de Toulouse aurait par exemple environ 140 000 arbres répartis sur plus de 100 km2 selon les estimations des services espaces verts. Une procédure de relevé est fastidieuse, limitée à des zones réduites et ne permet pas d’assurer un suivi régulier. Le recours à des moyens de télédétection dans le domaine optique (0,4-2,5 μm) a déjà montré beaucoup d’avantages pour accroitre la spatialisation et la répétitivité de l’étude du suivi sanitaire des arbres en villes avec parfois des échelles spatiales très fines.

Une autre étape nécessaire est d’avoir accès à une cartographie des espèces (Fassnacht, 2016 ; Nabucet, 2018 ; Feng et al., 2015) et à l’emprise des arbres (Chen et al., 2006). L’exploitation de la richesse spectrale d’un capteur satellite permet d’obtenir des informations sur les pigments, le contenu en eau, ou la matière sèche et sur le suivi du cycle phénologique (suivi de ses différents stades de développement) de la végétation. Un capteur optique couplé éventuellement à des informations structurelles issues de données Lidar (scanner laser aéroporté) peut informer de l’état de santé de la végétation arborée (Degerickx et al., 2018 ; Shi et al., 2018). L’utilisation de nouvelles données issues d’instruments à haute résolution spatiale (décamétrique au moins) et à forte revisite (quelques jours comme Sentinel-2 ou Venμs) permet en plus de suivre les processus saisonniers (dits phénologiques) des espèces d’arbres durant l’année. L’hypothèse communément retenue est que des arbres sains sont supposés avoir une phénologie quasi identique d’une année à l’autre si les conditions climatiques sont idéalement les mêmes.

Une rupture inattendue au cours de cette phénologie peut être interprétée comme un précurseur d’un stress (Granero-Belinchon et al., 2020). Ces anomalies peuvent se manifester par des changements dans les dates de début et de fin des différentes phases, en majorité caractérisées par le débourrement, la floraison, la maturation des fruits et la sénescence (Differt, 2001). La détection de ces anomalies phénologiques reste cependant dépendante du nombre d’acquisitions satellitaires durant l’année (Granero-Belinchon et al., 2021).

• Friches urbaines

Les friches urbaines, espaces bâtis ou non, anciennement utilisées pour des activités industrielles, commerciales ou autres et abandonnées, font partie intégrante du processus de renouvellement des villes. Elles nuisent parfois au paysage urbain et peuvent engendrer un risque en matière de sécurité (effondrement du bâti, pollution des sols, squats…). Cependant, elles présentent un atout dans le sens où elles constituent des espaces de respiration et de régulation climatique au coeur des villes et offrent un potentiel d’espace foncier disponible. Ces derniers constituent de nouveaux milieux et des espaces de spontanéité pour le développement de la biodiversité, qui peuvent jouer un rôle d’espaces refuges pour les espèces.

Cependant, les bases de données les recensant sont rares et les deux principalement exploitées sont : BASOL et BASIA (BRGM). BASOL identifie à l’échelle nationale les sites et sols pollués ou potentiellement pollués appelant une action des pouvoirs publics, à titre préventif ou curatif. BASIA, recense à l’échelle de chaque département, les sites industriels abandonnés ou non, susceptibles d’engendrer une pollution de l’environnement. Ces bases ne sont donc pas exhaustives. Il est alors d’intérêt de localiser les friches urbaines et d’actualiser leur mise à jour régulière. La télédétection optique offre un moyen de détection de ces zones avec une fréquence temporelle régulière.

Une fois ces zones localisées, leur caractérisation est primordiale afin d’assurer une réhabilitation réussie. Également, comme le soulignent Rankovic et al. (2012) la végétation peut aussi entrainer un certain nombre de coûts, désagréments ou gênes. Escobedo et al. (2011) en résume les principaux éléments (figure 5.7). La volonté des collectivités territoriales de planter des arbres, de créer des forêts urbaines, de laisser des friches se développer ne doit pas s’affranchir d’une réflexion sur les contraintes associées à ces implantations et celles subies par la végétation en milieu urbain.

Figure 5.7. Typologie des services écosystémiques urbains et types de coûts associés.
(Source : Escobedo et al., 2011).