L’architecture et l’aménagement des espaces publics au service du confort extérieur

Marion BONHOMME (INSA – LMDC)

Nous allons aborder dans cette section l’influence du bâti sur le confort extérieur et comment il peut être un levier d’action.

Influence des matériaux

Les matériaux de construction des bâtiments (murs, vitrages, toits, etc.) et les revêtements extérieurs (pavés, enrobés, graviers, etc.) contribuent à l’îlot de chaleur urbain en raison de certaines de leurs propriétés physiques, parmi lesquelles : l’albédo, l’inertie et la perméabilité (figure 5.5).

• L’albédo L’albédo

correspond au rapport entre l’énergie solaire réfléchie et l’énergie solaire reçue par une surface. L’albédo des matériaux urbains est globalement plus faible que celui des matériaux que l’on trouve à la campagne, c’est-à-dire qu’ils absorbent une plus grande part de l’énergie solaire reçue. Ces matériaux montent donc en température de manière plus importante (Prado & Ferreira, 2005). Les surfaces claires ayant un albédo plus élevé que les surfaces aux couleurs sombres, ce phénomène nous permet d’expliquer le choix d’enduits clairs dans l’architecture vernaculaire de certaines villes méditerranéennes. En revanche, une attention particulière doit être portée au risque d’éblouissement lié à ces matériaux très clairs. Notons également que l’albédo des surfaces horizontales aura un impact plus important sur le microclimat urbain que celui des parois verticales. Il y a donc un intérêt particulier à se concentrer sur les matériaux de toitures.

De récents travaux de recherche ont conduit au développement de matériaux aux propriétés radiatives particulières : les peintures à forte émissivité ou encore les « cool roofs » qui réfléchissent une grande part du rayonnement solaire reçu et montent très peu en température (Synnefa et al., 2008). Le projet de recherche EPICEA a permis, via des modélisations à l’échelle de la ville de Paris, d’évaluer l’impact de l’albédo des matériaux urbains sur la température de l’air dans la rue. Dans un scénario où les routes, murs et toits ont été modélisés comme très clairs (avec un albédo de 0,9 pour les toits en particulier), la température à l’intérieur de la canopée urbaine a été réduite de 1 °C (Kounkou-Arnaud, 2012).

• L’inertie

L’inertie caractérise la capacité d’un matériau à accumuler la chaleur et à la restituer après un temps. L’inertie des matériaux urbains est généralement plus élevée, ils absorbent donc la chaleur pour la restituer en période nocturne, empêchant le rafraichissement de la ville (Grimmond & Oke, 1999). Notons qu’à l’inverse, l’inertie des bâtiments peut être favorable au confort intérieur d’été. Un bon compromis peut être l’isolation par l’extérieur qui limite l’inertie accessible côté rue et maximise l’inertie à l’intérieur des bâtiments. Dans le cadre du projet ENERPAT, des travaux de mesures et de modélisation menés dans la ville de Cahors ont montré qu’une isolation par l’intérieur dans le centre ancien pouvait dégrader le confort d’été (Claude et al. 2019). La suite de ces travaux devrait permettre de proposer des techniques de réhabilitation basées sur des matériaux biosourcés. Ces matériaux permettraient de réduire les besoins de chauffage sans dégrader le confort d’été à l’intérieur comme à l’extérieur des bâtiments.

• La perméabilité

Les revêtements de sol en ville sont plus imperméables que les terrains non urbanisés et réduisent donc l’humidité de l’environnement, limitant ainsi le phénomène de rafraichissement par évaporation.

Influence de la morphologie

La morphologie urbaine – c’est à dire, la forme des bâtiments et leur agencement les uns par rapport aux autres – influe sur le bilan énergétique de la ville de différentes manières.

• Ombrage et piégeage radiatif

Les ombres des bâtiments et des arbres limitent la montée en température des matériaux urbains. Elles limitent également le rayonnement direct sur les piétons et joue un rôle particulièrement important dans la sensation de confort. Ce phénomène est cependant contrebalancé par le phénomène de piégeage radiatif : dans une forme urbaine où les bâtiments sont hauts et rapprochés, les rayons solaires vont subir de multiples réflexions et vont réchauffer les surfaces et l’air à l’intérieur de la rue. A titre d’exemple, dans le cadre de la conception de la ZAC Toulouse Montaudran Aerospace, une étude a montré que la modification de la morphologie urbaine n’était pas un levier d’action facilement mobilisable : si augmenter la hauteur des bâtiments conduit à produire plus d’ombres, cela peut aussi augmenter le piégeage radiatif (Martins et al., 2016).

Dans le cadre du projet MApUCE, une étude menée par Gardes et al. (2020) sur 42 villes françaises a permis de croiser des modélisations de l’îlot de chaleur urbain à l’échelle des agglomérations à des facteurs explicatifs, en particulier les formes urbaines décrites par la typologie Local Climate Zones (LCZ). L’étude a montré que les formes urbaines compactes favorisent la formation de l’îlot de chaleur urbain. Notons que ce résultat peut aussi être expliqué par le fait que ces formes urbaines sont globalement moins végétalisées.

• Écoulement de l’air

L’écoulement de l’air est modifié en milieux urbains. Le vent est globalement ralenti, sa direction est modifiée et des flux turbulents sont générés. Chapitre 5 | Milieux urbanisés 108 Cahier Régional Occitanie sur les Changements Climatiques Ces phénomènes dépendent beaucoup de l’orientation des bâtiments par rapport aux vents dominants. On peut conclure que dans le cas d’une ville dense aux rues sinueuses, la vitesse du vent est diminuée et la chaleur de la ville est moins aisément dispersée.

• Structure urbaine

La répartition spatiale des bâtiments à l’échelle d’une ville a également une influence sur l’îlot de chaleur urbain. Une étude statistique menée sur les 5 000 plus grandes villes d’Europe a permis d’établir un lien entre la forme et la taille de la tache urbaine et l’intensité de l’îlot de chaleur urbain (évaluée grâce à des mesures de température de surface) : une ville peu compacte, de petite taille et dont la forme est plutôt allongée aura tendance à moins monter en température (Zhou et al., 2017). En France, l’étude menée par Gardes et al. (2020) dans le cadre du projet MAPuCE est parvenue à des conclusions similaires quant à la relation taille démographique / ICU des villes. L’îlot de chaleur maximum augmente avec le logarithme de la population totale des agglomérations françaises étudiées.

Influence des émissions de chaleur anthropique

La chaleur anthropique est celle produite par les activités humaines : chauffage, climatisation, transports et activités industrielles, particulièrement concentrées en milieu urbain. Les systèmes de climatisation représentent un enjeu particulièrement sensible : s’ils permettent de garantir une situation de confort intérieur en cas de canicule, leurs rejets de chaleur contribuent néanmoins à réchauffer encore davantage la ville, suscitant une utilisation accrue de la climatisation et entretenant ainsi un cercle vicieux. Des travaux menés sur la ville de Paris montrent que doubler les installations de climatiseurs conduirait à des élévations de températures allant jusqu’à 2,5 °C (Tremeac et al., 2012). Cette même étude oriente les concepteurs vers des choix de systèmes de rafraichissement tels que les tours de refroidissement humides, les climatiseurs à eau perdue ou les puits canadiens qui contribuent beaucoup moins à l’îlot de chaleur urbain. Lorsque cela est possible, les solutions de rafraichissement passif seront privilégiées (protections solaires, ventilations nocturnes, etc.).

Figure 5.5. Influence du bâti sur le confort extérieur, principaux mécanismes. (Source : réalisation de M. Bonhomme)