Perspectives d’enneigement dans les stations pyrénéennes de sports d’hiver

Hugues FRANÇOIS (UGA – INRAE LESSEM), Raphaëlle SAMACOÏTS (Météo-France – DCSC), Carlo M. CARMAGNOLA (UGA – Météo-France CEND), Jean-Michel SOUBEYROUX (Météo-France – DCSC), Samuel MORIN (Météo-France et CNRS – CNRM).

Directement dépendantes de la ressource neige et moteurs économiques de nombreux territoires de montagne, les stations de sports d’hiver font l’objet d’une attention particulière parmi les études d’impact du changement climatique. Comme le souligne le rapport spécial Océan & Cryosphère du GIEC (GIEC, 2019), l’évolution du climat a déjà affecté et affectera au XXIe siècle l’enneigement des domaines skiables. Cette synthèse souligne une forte diminution du manteau neigeux, notamment à basse altitude par le passé, pour la quasi-totalité des régions de montagne dans le monde. Cette tendance passée devrait se prolonger jusqu’en milieu de siècle puis les conditions pourraient se stabiliser ou poursuivre leur dégradation jusqu’à la fin de siècle, en fonction des scénarios d’émission de gaz à effet de serre (GES). Les résultats présentés ci-après s’appuient ainsi sur le scénario RCP8.5 qui suppose de fortes émissions de GES, le RCP4.5 qui fait l’hypothèse d’une stabilisation des émissions de GES à leur niveau actuel d’ici au milieu du siècle et le RCP2.6 impliquant l’atteinte de la neutralité carbone planétaire d’ici au milieu du siècle.

La diminution tendancielle du manteau neigeux des dernières décennies se superpose à la variabilité interannuelle intrinsèque des conditions naturelles d’enneigement (Lopez-Moreno et al., 2020). Face à une telle variabilité, l’amortissement et la valorisation des importants capitaux sur lesquels repose l’activité des remontées mécaniques est d’autant plus difficile qu’elle s’inscrit dans une saisonnalité fortement marquée par les périodes de vacances. En France, les « hivers sans neige » de la fin des années 1980 ont marqué un tournant dans l’adoption des techniques de production de neige avec pour objectif de sécuriser les conditions d’exploitation. Elles ont depuis pris une place croissante dans les modalités d’exploitation des domaines skiables et il est primordial d’en tenir compte pour analyser l’évolution des conditions d’exploitation des domaines skiables (GIEC, 2019).

Le rapport SROCC souligne que la production de neige a permis par le passé de limiter, en fonction des situations, l’impact du changement climatique sur l’activité des stations de sports d’hiver. Diverses approches ont été développées et mises en oeuvre afin d’évaluer l’évolution de l’enneigement des domaines skiables, reposant sur la descente d’échelle de projections climatiques, la modélisation de l’enneigement naturel et géré, et le calcul d’indicateurs pertinents au regard des conditions d’exploitations des domaines skiables (Abegg et al., 2020). La présente approche focalisée sur les Pyrénées françaises mobilise différents outils de modélisation complémentaires. La dynamique du manteau neigeux est simulée en utilisant une version adaptée du modèle à base physique Crocus, dit Crocus-Resort (Spandre et al., 2016), pour intégrer les pratiques de gestion de la neige, damage et production de neige complémentaire aux précipitations naturelles. En entrée de ces simulations, les conditions météorologiques passées sont fournies par la réanalyse SAFRAN (Vernay et al., 2019) qui fournit des informations météorologiques, réparties par tranche d’altitude de 300 m au sein d’entités géographiques unitaires, appelées « massifs », représentés sur la figure 9.5.

Figure 9.5. Principales caractéristiques des stations des Pyrénées françaises étudiées.
(Source : BD Stations (U. Grenoble Alpes, INRAE-LESSEM))

Ces données tiennent compte des observations météorologiques réalisées dans les Pyrénées depuis 1958. Cette réanalyse a également servi de référence pour paramétrer la méthode de descente d’échelle ADAMONT (Verfaillie et al., 2018) qui a permis de produire des projections climatiques ajustées pour 20 couples GCMRCM (Global et Regional Circulation Models) issus des simulations Euro-CORDEX (Jacob et al., 2014).

Comme le montre la figure 9.5, les stations prises en compte dans l’étude des Pyrénées françaises, enregistrées dans la BD Stations (INRAE), sont au nombre de 28, de taille plutôt modeste. Pour caractériser les stations, Domaines Skiables de France propose une typologie fondée sur le moment de puissance, produit du dénivelé (exprimée en km) et du débit d’un appareil de remontée mécanique qui permet d’évaluer sa contribution au domaine skiable et qui peut être agrégé pour évaluer la taille d’un parc de remontées mécaniques et comparer différentes stations entre elles.

La plupart (15) des stations pyrénéennes sont considérées comme des petites stations (moment de puissance inférieur à 2500 km/pers/h), 6 appartiennent à la catégorie des stations moyennes (entre 2500 et 6000 km/pers/h) et 7 à celle des grandes stations (entre 6000 et 15 000 km/ pers/h) mais aucune station ne correspond à une très grande station (au-delà de 15 000 km/pers/h). L’altitude des stations n’est pas directement corrélée à leur taille, les plus élevées se révélant être plutôt parmi les plus petites. Les domaines skiables sont inégalement répartis en fonction des massifs, avec, sur un gradient ouestest, une concentration occidentale de 14 stations parmi les plus grandes sur quatre massifs puis, plus à l’est, un groupe de 11 stations de taille modeste également réparties sur quatre massifs.

Une étude récente (Spandre et al., 2019a) a analysé l’évolution passée et future de l’altitude de fiabilité de l’enneigement dans les Pyrénées, définie comme l’altitude au-dessus de laquelle la durée d’enneigement naturel ou géré dépasse un certain seuil à une certaine fréquence (n années sur 10). Cette altitude de fiabilité permet de caractériser les stations de sport d’hiver dans diverses catégories, en fonction de leurs altitudes caractéristiques. Les résultats montrent que l’altitude de fiabilité de l’enneigement naturel damé sur terrain plat des Pyrénées françaises se situe pour la période de référence 1986-2005 à environ 2000 m d’altitude. L’amélioration des conditions d’exploitation par la production de neige se révèle relativement faible (-700 m), par rapport aux autres massifs étudiés), soit 1300 m d’altitude (voir chapitre-enjeu Milieux montagnards).

Dans le futur, les projections indiquent une dégradation des conditions d’enneigement. Ainsi, en milieu de siècle, l’altitude de fiabilité remonte environ à 2300 m sans production de neige, mais à 1800 m avec production, par rapport à la période de référence et pourrait aller jusqu’à 2750 m, pour le scénario de fortes émissions, en fin de siècle. Ces altitudes de fiabilité sont comparées avec les altitudes caractéristiques des stations de ski (altitudes des hébergements et du domaine skiable).

Dès la période historique, les stations des Pyrénées françaises se démarquent par un enneigement généralement plus précaire que dans les autres massifs étudiés (Alpes du Nord, Alpes du Sud et Pyrénées espagnoles). Les projections indiquent une dégradation sensible des conditions d’exploitation au cours du XXIe siècle. La différence entre les scénarios RCP8.5 et 2.6 en fin siècle est forte, mais même dans les scénarios de moindre réchauffement, la récurrence des conditions d’enneigement difficiles demeure élevée.

Au-delà de cette approche fondée sur l’étagement de l’enneigement en fonction de l’altitude, pour divers massifs au sein du massif pyrénéen, une méthode plus sophistiquée a été déployée, qui permet de tenir compte plus finement des caractéristiques des domaines skiables. Pour le moment, elle a essentiellement été appliquée dans les stations des Alpes françaises (Spandre et al., 2019b). Elle se distingue de l’approche fondée sur la simple durée d’enneigement, et quantifie la fraction du domaine skiable couverte par une quantité de neige sur les pistes dépassant un certain seuil (correspondant à 20-25 cm de neige damée), en se focalisant sur les périodes de vacances (spécifiquement celles de Noël et de février). Cet indice de fiabilité de l’enneigement est illustré dans la figure 9.6 ci-après.

L’analyse porte en particulier sur la fréquence de retour des saisons hivernales dont l’enneigement est comparable aux hivers délicats de la période de référence 1986-2015 (seuil fixé à l’enneigement rencontré 20 % des saisons, noté Q20), qui est une approche beaucoup plus pertinente pour l’activité des domaines skiables que l’évolution de la moyenne multi-annuelle de l’enneigement. Pour l’application de cette méthode dans les Pyrénées le taux de couverture du domaine skiable par les équipements de production de neige est fixé à 30 % quelle que soit la période considérée.

Figure 9.6. Évolution des conditions d’enneigement des stations des Pyrénées françaises dans le contexte du changement climatique en fonction des pratiques de gestion de la neige, avec uniquement du damage (a et c) et une couverture de 30 % du domaine skiable par des installations de production de neige (b, d, e).
(Source : Application aux Pyrénées de la méthode décrite et appliquée pour les Alpes françaises dans Spandre et al., 2019b)

La figure 9.6 montre l’évolution temporelle de l’indicateur d’enneigement des stations de sport d’hiver des Pyrénées françaises de 1960 à 2100, utilisant des projections climatiques ajustées et un modèle de manteau neigeux tenant compte des processus de neige naturelle damée (9.6a), mais aussi de l’effet de la production de neige (9.6b). Les projections des divers scénarios sont similaires dans un premier temps, et divergent peu avant la moitié du XXIe siècle.

L’impact sur les conditions d’exploitation des domaines skiables est marqué : dans le cas du RCP8.5, la valeur médiane (rencontrée en moyenne une année sur deux) descend rapidement en deçà du Q20 historique alors que cette situation ne se présente qu’après 2040 dans le cas du RCP4.5 et jamais dans le contexte du RCP2.6. La contribution de la neige de culture pour réduire l’impact du réchauffement apparait relativement marginale en permettant de reculer de quelques années cette échéance, tout en réduisant l’amplitude de la variabilité interannuelle de l’enneigement.

Les figures 9.6c et 9.6d présentent la fréquence de récurrence des saisons les plus défavorables connues pendant la période de référence historique 1986-2015. En écho à la diminution rapide de l’indice de fiabilité, le taux de retour des saisons de faible enneigement connait dans les projections une croissance importante dès 2030 jusqu’à atteindre une valeur de 100 % dès 2080 dans le cas du RCP8.5. Dans le cas du RCP4.5, la pire situation connue, une année sur 5 deviendrait donc la norme une année sur 2 à l’horizon 2050 alors qu’au même moment cette fréquence de retour se stabiliserait autour d’une saison toutes les 2 à 3 dans le contexte du RCP2.6. La figure 9.7 fournit une représentation spatiale du taux de retour de l’enneigement au 20 % d’années les plus défavorables (Q20).

Le massif pyrénéen est ainsi subdivisé en massifs météorologiques qui constituent l’unité de base des simulations d’enneigement. Quel que soit le massif considéré, il apparait ainsi que la production de neige a un impact sensible mais limité sur la période historique qui tend à se prolonger à l’échéance 2050, particulièrement pour les massifs les plus orientaux. Cette situation s’explique très certainement par l’altitude relativement élevée des stations bien que demeurant de taille modeste (figure 9.5). En revanche, toute différence, quel que soit le massif, quel que soit le type de gestion de neige considéré, disparait en fin de siècle dans le cas du RCP8.5, alors que la situation dans la trajectoire du RCP2.6 apparait comme beaucoup plus contrastée.

L’évolution du besoin en eau pour la production de neige est présentée dans la figure 9.6e. Elle montre que malgré la dégradation des conditions d’enneigement naturel au cours du XXIe siècle, le besoin en eau pour la production de neige n’augmente pas, quand bien même les conditions naturelles d’enneigement se dégradent, ce qui indique l’absence de marges de manoeuvre en la matière.

Ce résultat est valable à l’échelle de l’ensemble des Pyrénées, avec des situations potentiellement contrastées à l’échelle de chaque station, et pour un taux de couverture donné en équipements de production. Cette évolution est principalement due à l’accroissement de la température et à la diminution des créneaux de production qui en résulte. Dans les scénarios de fort réchauffement (RCP8.5), le besoin en eau calculé pour la production de neige se réduit fortement au cours du XXIe siècle, du fait de conditions de production de plus en plus défavorables.

Le climat s’affirme comme un facteur décisif pour l’évolution des conditions d’enneigement des stations pyrénéennes qui apparaissent d’ores et déjà soumises à une contrainte forte. La stabilisation, dans le meilleur des cas, de la capacité de production de neige dans un contexte qui continue de se dégrader montre que les stations semblent se rapprocher rapidement d’un point d’inflexion des conditions d’exploitation. Dans ce sens, nous rejoignons les conclusions de Vlès (2019) qui montre, qu’en plus du changement climatique, de multiples facteurs (impact environnemental, appauvrissement des ressources territoriales délaissées par le tourisme du ski, évolution de la demande) perturbent les trajectoires des stations, au point de remettre leur existence en cause.

Ces résultats mettent en lumière l’irréversibilité des trajectoires climatiques jusqu’à la moitié du XXIe siècle du fait de l’inertie climatique et des émissions de GES, et les marges de manoeuvre limitées en matière d’adaptation sous l’angle de la fiabilisation de l’enneigement, même si l’enneigement naturel et/ou géré n’aura pas totalement disparu à cette échéance. L’impact des émissions de GES, déterminant pour la deuxième moitié du XXIe siècle, souligne l’articulation indispensable entre adaptation et réduction de ces émissions pour toutes les activités humaines, et invite à considérer les transitions territoriales et touristiques à l’aune de ces deux pans de l’action climatique.

Figure 9.7. Carte des stations des Pyrénées françaises réparties en fonction des massifs à l’échelle desquels la modélisation du manteau neigeux est réalisée. Répartition du moment de puissance (produit du dénivelé et du débit des remontées mécaniques, cet indicateur permet d’évaluer et de comparer la contribution d’un appareil au sein d’un parc de remontées mécaniques ou les stations en fonction de la taille totale de leurs équipements) et fréquence de retour des années de faible enneigement de la période de référence (quantile 20 % de l’enneigement en neige damée).
(Source : Application aux Pyrénées de la méthode décrite et appliquée pour les Alpes françaises dans Spandre et al., 2019b)