L’impact environnemental et social des mobilités touristiques d’Occitanie d’ici 2030

Bernard SCHÉOU (UPVD – Art-Dev)

Nous entendons les mobilités touristiques comme l’ensemble des déplacements des touristes, entre le départ de leur domicile et leur retour, et ce, quel que soit leur lieu de résidence (selon la définition du système d’observation statistique français du tourisme, un touriste est un visiteur qui passe au moins une nuit hors de son domicile, quel que soit le motif de son déplacement).

Les mobilités touristiques forment un ensemble multiforme, composé des déplacements pour venir sur le lieu de vacances, ainsi que de tous les déplacements effectués ensuite sur place. Cela les rend difficiles à reconstituer dans leur totalité par des enquêtes par questionnaire, seul moyen de pouvoir les relier avec les différentes caractéristiques des touristes qui en sont à l’origine, ce qui explique le peu d’études existantes sur leurs caractéristiques et ce qui les détermine.

En ce qui concerne la région Occitanie, les données publiées sur les mobilités touristiques sont peu détaillées : nous disposons, pour l’année 2019, des nuitées touristiques, réparties selon les régions ou pays d’origine des touristes, et selon le type d’espace fréquenté (Destination Occitanie, 2020a) ainsi que de la répartition par mode de transport pour se rendre à destination (Destination Occitanie, 2020b). En 2019, 24 % des nuitées sont le fait d’habitants de la région, 41 % de résidents d’autres régions françaises, et 35 % de résidents de pays étrangers, dont les ¾ sont réalisées par des européens, la part des clientèles lointaines (USA, Chine, Russie…) étant marginale (figure 9.1). Une majorité des nuitées touristiques (36 %) s’effectuent dans les centres urbains dont l’accessibilité nationale et internationale est facilitée par une bonne desserte aérienne (dont 5 aéroports centrés sur l’international) et ferroviaire (77 liaisons TGV nationales et 5 gares bien reliées à l’Espagne).

Figure 9.1. Répartition des nuitées touristiques en 2019 par type d’espace fréquenté.
(Source : Destination Occitanie, 2020a pour le fond de carte et pour les chiffres.)

Le second type d’espace le plus fréquenté est l’espace rural, avec 29 % des nuitées, suivi du littoral qui concentre 23 % des nuitées, les deux massifs pyrénéen et central accueillant respectivement 7 % et 4 % des nuitées touristiques. Si l’ensemble du littoral est bien desservi par les transports en commun, c’est nettement moins le cas des espaces ruraux et de montagne, qui sont plus difficiles d’accès. Le type d’espace de destination influence logiquement le mode de transport des touristes français pour venir en Occitanie : si la part de la voiture particulière domine tous les autres modes de transport avec 84,5 % en moyenne, elle est plus élevée encore chez ceux qui séjournent en espace rural (85 %), sur le littoral (88 %) ou en montagne (89 %).

L’ensemble des modes routiers est même de 90 % si l’on ajoute à la voiture particulière, le camping-car (2,5 %), le covoiturage (2 %) et le car (1 %). La part du train n’est que de 6 % et celle de l’avion de 2 %.

Une étude récente pour le compte de l’agence de la transition écologique (ADEME) a estimé et modélisé l’impact environnemental et social des mobilités touristiques d’Occitanie d’ici à 2030 selon plusieurs scénarii d’évolution par rapport à l’année 2018 de référence (Diamant et al., 2020). Les auteurs ont retenu comme effets, au niveau environnemental : 1) le changement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre, 2) la pollution atmosphérique locale et 3) les nuisances sonores ; et au niveau social : 1) le temps perdu par la congestion, 2) les accidents et 3) les bénéfices pour la santé (vélo et marche à pied).

Ces différents effets dépendent des distances et des modes de transport choisis. Afin d’estimer leur coût global pour la collectivité, ils ont été monétarisés par l’application de valeurs tutélaires (prix fictifs déterminés collectivement par différents groupes de réflexion publics, par exemple au sein du Commissariat Général au Développement Durable).

Ce coût est de 3,6 milliards d’euros en 2018. Les six scénarios d’évolution retenus sont : 1) « tendanciel », soit la poursuite des tendances actuelles ; 2) « normatif », soit un scénario correspondant à la mise en oeuvre de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui vise la neutralité carbone pour 2050, et quatre scénarii exploratoires ; 3) « tourisme de proximité », soit le remplacement des clientèles étrangères par des clientèles nationales ; 4) « Transports en commun », soit l’augmentation conséquente de la part modale des transports en commun ; 5) « modes actifs », soit l’utilisation de modes actifs pour les déplacements locaux (vélo et marche) et enfin 6) « exploratoire », un scénario co-construit entre les auteurs du rapport et le CRTL d’Occitanie (figure 9.2)

Ce dernier repose sur la stratégie touristique de la région qui d’une part, prévoit de favoriser un tourisme social et de proximité permettant de faire passer la part de la clientèle occitane de 25 % à 35 % pour 2030, une augmentation légère et régulière de la clientèle française et un recul équivalent de la clientèle étrangère, et d’autre part se fixe des objectifs très ambitieux en termes de report modal, visant 1) pour les français et les européens, une baisse de la part de la voiture au profit du train ou du car (avec une part cumulée doublant d’ici 2030 pour les atteindre 13 % pour les français et 8 % pour les européens et 2) le doublement du recours aux transports en communs pour les déplacements sur place.

Figure 9.2. Scénarios d’évolution des externalités de la mobilité touristique à horizon 2030 pour l’Occitanie.
(Source : Diamant et al., 2020)

On constate sur la figure précédente que quel que soit le scénario retenu, la part des changements climatiques s’accroit dans les externalités de la mobilité touristique à l’horizon 2030, même si elle s’accompagne d’une réduction d’autres effets négatifs.

Par ailleurs, le scénario co-construit avec le CRTL serait le seul à permettre une baisse du total estimé des effets négatifs des mobilités touristiques en 2030 par rapport à 2018. Malgré le volontarisme de la région, l’effectivité de ce scénario nous semble incertaine, en particulier pour l’objectif de limitation de la clientèle européenne, lequel parait difficilement contrôlable par la région. Comment pourrait-elle, par exemple, empêcher les nombreux européens qui possèdent des résidences secondaires en Occitanie de s’y rendre ?

En outre, amener les touristes à abandonner la voiture particulière est une tâche ardue qui suppose non seulement d’agir sur l’ensemble de la chaine des déplacements, du point de départ jusqu’aux déplacements sur place, en proposant des solutions alternatives efficaces, coordonnées et intégrées, mais en plus de les convaincre de changer de comportement malgré de nombreux freins (Rocci, 2014). Dans cette perspective, nous suggérons :

  • d’expérimenter la limitation de la circulation des voitures particulières sur des espaces restreints, particulièrement adaptés à un accès en transports en commun et à une circulation locale sans voiture (exemple des stations sans voitures du réseau Alpine Pearls) ;
  • des actions de mobilisation des professionnels volontaires, en particulier les hébergements, en s’inspirant du programme « en Bretagne sans ma voiture » (ADEME Bretagne, 2017) ;
  • la mise en place d’une agence de la mobilité, afin d’offrir un service d’accompagnement personnalisé au changement modal, tant pour les mobilités touristiques que pour les mobilités quotidiennes.

Si ce premier travail réalisé sous l’égide de l’ADEME permet de disposer d’une première approche relativement grossière des externalités générées par les mobilités touristiques, la mise en place d’actions à la hauteur de l’enjeu climatique suppose au préalable, la production d’une connaissance scientifique plus fine des mobilités touristiques et de leurs déterminants, qui résultent de processus de décision complexes, à travers la diffusion des données existantes aux chercheurs et la mise en place de programmes de recherche spécifiques.