Le tourisme, la protection et la transformation de l’environnement pyrénéen : perspectives historiques

Steve HAGIMONT (UVSQ – CHCSC)

Le tourisme a d’un côté été un atout pour l’environnement pyrénéen permettant de valoriser, depuis la fin du XVIIIe siècle, des ensembles paysagers de manière plus douce que les exploitations forestières ou que l’industrie. D’un autre côté, devenu l’activité hégémonique, le tourisme a contribué à transformer les écosystèmes et nourrit une hausse des mobilités carbonées. Le tourisme a permis de justifier la protection de l’environnement et motivé des résistances à des aménagements qui menaçaient l’intégrité des paysages. L’industrie hydroélectrique et électrométallurgique affrontent ainsi, dès avant 1914, les acteurs du tourisme. Gavarnie et Cauterets sont ainsi préservés, quand Luchon ou Ax échouent.

Le Parc national des Pyrénées, créé en 1967, est d’abord porté localement pour s’opposer à l’hydroélectricité. Les négociations houleuses permettent de faire primer les intérêts agricoles et touristiques dans le règlement et le tracé même. En même temps, avec la déprise industrielle et agricole, le tourisme devient l’activité essentielle de bien des vallées et donc un facteur essentiel de perturbation des milieux. Dès le début du XIXe siècle, le tourisme estival se déploie autour de sites thermaux comme Luchon, Bagnères, Cauterets, Barèges ou Gavarnie. Les arasements de forêts pour financer les thermes, les routes et les plans d’urbanisme, l’artificialisation de terres agricoles, l’accroissement de l’exposition aux risques, le déversement d’ordures et d’eaux usées, la présence de centaines de chevaux d’excursion, les prélèvements et introductions de gibiers et de poissons, les chemins de fer, renouvellent les pressions anthropiques (Hagimont, 2021).

Au XXe siècle, les automobiles s’ajoutent aux trains et accentuent la dépendance structurelle du tourisme aux transports carbonés. Si dans les années 1960 encore, la majorité des déplacements touristiques domestiques se font en transports en commun, tout est fait pour faciliter les déplacements automobiles en finançant largement les aménagements routiers. Sur le modèle des villes, les lotissements étalent les urbanisations dès l’entre-deuxguerres, comme à Luchon, Ax ou Font-Romeu. S’ajoute à ce tourisme estival la saison d’hiver. Dès 1945, un fait est acquis pour les services de l’Etat : les Pyrénées ne sont pas adaptées à l’exploitation du ski alpin car leurs sites et l’enneigement y sont trop limités. Cela n’empêche pas les centres de se multiplier dans les trois décennies suivantes, portés souvent par les communes (y compris thermales) ne voyant pas d’autre solution pour relancer l’économie locale.

Des entrepreneurs se lancent aussi, comme aux Agudes, à Ascou ou aux Monts-d’Olmes, le seul enjeu pour eux étant d’obtenir les conventionnements fonciers et de lancer la promotion immobilière. Peu importe la neige finalement, la prime est au béton. Les difficultés d’exploitations des remontées mécaniques retombent en tout cas sur les collectivités qui doivent assumer des pertes d’exploitation croissantes à partir des années 1980 et s’engager dans une course à la neige de culture et aux remontées mécaniques. Dès ces années, des programmes de diversification plurisaisonnière sont élaborés à l’échelle des vallées mais échouent par manque de volonté politique, d’investissements et de réponse du public.

Les nuages semblent alors s’amonceler sur le tourisme. Le public intéressé par les sports d’hiver commence à stagner. Le tourisme estival, sur fond de crise thermale, est plus diffus et moins rémunérateur ; il commence à poser le problème de la saturation de certains sites facilement accessibles comme les Bouillouses, Néouvielle ou Gavarnie. Les équipements touristiques apparaissent comme des services publics non rentables mais essentiels à la survie économique des vallées. La dépendance envers les investissements faits dans le passé, l’assèchement de l’imaginaire et des finances empêchent d’inventer autre chose. Les enjeux climatiques et de biodiversité complexifient l’orientation des investissements touristiques, laquelle pourrait tirer parti des nombreuses initiatives en faveur du tourisme diffus depuis les années 1960, dont le bilan reste à dresser (Hagimont et al., 2021).

Station des Angles. Crédit photo : V. Vlès.