Valéry MASSON (Météo-France et CNRS – CNRM), Aurélie MICHEL (ONERA)
Les milieux urbanisés sont, du point de vue météorologique, des objets petits comparés à la fois aux systèmes de grande échelle qui influencent le temps et le climat (océans, continents, chaines montagneuses, anticyclones et dépressions) et aux caractéristiques plus régionales (zones côtières avec brises de mer, forêts, vallées, etc.). Cependant, ils concentrent la majorité de la population mondiale, des biens, des infrastructures et un bon nombre d’activités anthropiques. Ces espaces jouent donc un rôle actif sur la modification du climat à grande échelle de par leur contribution aux émissions des gaz à effet de serre (GES) et en même temps sont soumis à ses divers impacts (vagues de chaleur, sècheresse, montée du niveau de la mer…). En plus, la modification importante de l’occupation du sol et de la rugosité affecte localement quasiment toutes les variables météorologiques (température, humidité, vent, précipitation…) et les villes influencent ainsi de manière significative le climat local créant, par exemple, le phénomène de l’îlot de chaleur urbain (Oke et al., 2017).
L’îlot de chaleur urbain décrit une différence de température de l’air entre le centre-ville, et les quartiers urbains en général, et les zones rurales autour de la ville. L’îlot de chaleur urbain de l’air est en général inexistant en journée, mais peut atteindre 5 °C certaines nuits dans les grandes agglomérations de la région, et affecte même des petites villes de moins de 5000 habitants. Il est dû à l’imperméabilisation des surfaces : la chaleur reçue du soleil pendant la journée chauffe les matériaux urbains (pierre, béton, tuiles, etc.). En début de soirée et la nuit, cette chaleur est rendue à l’atmosphère, ce qui limite le refroidissement de l’air.
Ainsi, contrairement à ce qui est souvent cru, ce phénomène n’est pas lié au changement climatique, comme le prouve cette citation de Maupassant dans Bel-ami en 1855 : « Ils prirent un fiacre découvert, gagnèrent les Champs-Élysées, puis l’avenue du Bois-de-Boulogne. C’était une nuit sans vent, une de ces nuits d’étuve où l’air de Paris surchauffé entre dans la poitrine comme une vapeur de four ». Au passage, l’on peut remarquer que Maupassant souligne l’impact sanitaire de l’îlot de chaleur urbain lors des périodes caniculaires. Or ces épisodes caniculaires vont se multiplier dans le futur, et le fait que le climat soit déjà chaud sous nos contrées, explique que le confort d’été en ville est devenu une priorité en termes d’adaptation au changement climatique de nombre de villes de la région Occitanie.
Quantifier l’îlot de chaleur urbain est donc une nécessité pour les collectivités urbaines. Des réseaux de stations météorologiques permettent de monitorer l’îlot de chaleur en temps réel. C’est le choix qui a été fait par Toulouse Métropole, qui a installé 70 stations sur son territoire, connectées par l’internet des objets. Cette approche a l’avantage de fournir des données en continu, tous les jours de l’année plusieurs fois par heure, mais le nombre de stations est forcément limité. Un moyen souvent utilisé par les bureaux d’études est d’avoir recours à la télédétection pour obtenir des images de température de surface à partir d’avions, drones ou satellites. L’avantage de la télédétection, surtout spatiale, est de pouvoir offrir une grande quantité d’images sur une couverture mondiale quasi-globale, et surtout à haute résolution spatiale (quelques dizaines de mètres).
`Les images satellite sont réalisées à intervalle régulier (lors du passage du satellite), tous les quelques jours à quelques semaines, mais les images ne sont exploitables qu’en période de ciel clair (sans nuage). Elles permettent de repérer des zones où la surface est fraîche, typiquement les surfaces en herbe et les arbres. Historiquement, c’est le satellite NOAA-AVHRR-1 lancé en 1979 qui a permis de démarrer ces mesures et études.
Il convient toutefois de souligner, comme cela est illustré dans la figure 5.4, que les températures de l’air et de surface sont très différentes, et que l’îlot de chaleur observé en journée par satellite n’a pas de rapport avec l’îlot de chaleur nocturne de l’air. Ainsi, une thèse récente (Dumas, 2021), a montré à partir du réseau de monitoring de Toulouse Métropole que les zones industrielles et commerciales, très minéralisées, ne sont pas des zones de surchauffe de l’air par rapport aux autres quartiers comme ce que l’on croit généralement quand on se base sur les températures de surface uniquement (du fait de l’échauffement du bitume). Les deux informations, air et surface, sont donc complémentaires, mais ne doivent pas être confondues, ce qui est encore malheureusement trop souvent le cas.
Les stratégies d’adaptation en ville sont variées, et couvrent une large gamme à la fois d’échelles et d’acteurs. Les comportements individuels dans son logement, comme fermer les volets les jours de grande chaleur, est une adaptation naturelle et ancrée dans nos territoires du Sud. Toutefois, une stratégie d’adaptation, mais comportant de nombreux défauts, est le recours à la climatisation : non seulement elle consomme de l’énergie et contribue de ce fait au réchauffement climatique global, mais localement, la chaleur rejetée réchauffe encore – quoique légèrement, avec le taux d’équipement actuel, moins de 1 °C – l’air extérieur. Ainsi, il est préférable de rénover le bâti, de favoriser les couleurs claires pour les parois lorsque cela est possible (comme les villages blancs en Andalousie), limiter les grandes surfaces vitrées à l’ouest dans les constructions neuves, et utiliser de nouvelles, ou plutôt anciennes, techniques de construction utilisant des matériaux biosourcés en lieu et place des parpaings et bétons.
Au niveau de l’urbanisme, mettre en place des trames vertes et bleues, et des parcs permet d’inclure dans la ville des espaces de fraicheur. Les solutions végétales technologiques, comme les toitures végétalisées, ont toutefois un impact tout relatif sur le refroidissement, du fait d’une part de leur localisation (sur les toits) et surtout de l’assèchement rapide des substrats en période caniculaire. On préfèrera les arbres et plantes en pleine terre.

Figure 5.4. Exemple, sur le territoire de Toulouse Métropole, de données de température de l’air (gauche), mesurée en temps réel toutes les 15 minutes par le réseau de stations météorologiques de Toulouse Métropole (les stations sont indiquées par les ronds) et de température de surface (droite), mesurées par le satellite Ecostress. Les cartes sont produites pour une journée et une nuit d’été de ciel clair où les données satellites étaient disponibles (7 août 2020 à 14h locale et le 16 juillet 2019 à minuit locale, respectivement). Pour le jour (ou la nuit), les gammes de couleur de températures sont identiques pour les températures de l’air et satellite, ce qui permet de les comparer. Ces cartes indiquent clairement que les températures de l’air et de surface sont totalement différentes et ne doivent pas être confondues. Ainsi, une donnée d’image satellite de température ne peut pas donner d’information sur la température de l’air et l’îlot de chaleur urbain associé.
(Source : réalisation de A. Michel et G. Dumas pour le CROCC_2021).