Partie 1. La gouvernance du climat en région Occitanie : entre territorialisation de la politique climatique et climatisation des politiques sectorielles

Le changement climatique a été construit comme un problème public global et c’est d’abord à cette échelle qu’un processus de gouvernance s’est mis en place pour le traiter (Aykut et Dahan-Dalmédico, 2014). Les politiques d’atténuation, d’abord dominantes ont surtout été déclinées aux plans européen et national pour mettre en oeuvre les objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) du Protocole de Kyoto. Si la gouvernance climatique est censée se déployer du « global au local », ce n’est qu’à partir de la fin des années 2000 que la question d’une gouvernance territoriale du changement climatique commence à se dessiner.

1.1 Vers un agenda climatique à l’échelle nationale

En raison de « l’urgence climatique » et de son irréversibilité, le volet consacré à l’adaptation, jusqu’alors minoré au profit des politiques d’atténuation car jugé trop défaitiste, devient prioritaire dans les déclinaisons territoriales des politiques climatiques globales. On observe alors en France la construction d’une véritable politique nationale d’adaptation au changement climatique dans les années 2000, souvent par la reprise de démarches préexistantes en matière de développement durable (comme les Agendas 21), et qui se déploie d’abord dans une logique d’incitation, d’expérimentations et d’émulation (Bertrand, 2013), que ce soit avec la création de l’Observatoire National des Effets du Réchauffement Climatique (2001), la mise en place du Plan Climat National (2004), de la Stratégie Nationale d’Adaptation (2006) et du Plan National d’Adaptation (2011).

Aujourd’hui, le volet adaptation prend corps à travers les plans climat qui s’inscrivent dans une approche globale du changement climatique. Ceux-ci visent moins à créer de nouvelles politiques qu’à aborder de façon intégrée tout ce qui existe déjà dans les différentes politiques locales. Elles sont notamment surtout focalisées sur l’enjeu de l’énergie où l’on commence à observer une territorialisation de la politique énergétique de l’État, dès le milieu des années 20001 mais qui reste assez contrainte (Poupeau, 2013). En effet, pour cette deuxième génération des instruments climatiques, la logique incitative initiale fait place à une vision plus impérative (Béal et Pinson, 2013).

Il faudra attendre les lois Grenelle 1 et 2 de 2009 et 2010 afin de voir apparaitre un investissement fort dans la lutte contre le changement climatique de la part de l’État, des collectivités territoriales, des entreprises mais aussi des citoyens. On a alors assisté à la mise en place de dispositifs (p. ex. la méthode Bilan Carbone de l’ADEME) de structures spécifiques (les Observatoires régionaux de l’Énergie, les Autorités organisatrice de l’Énergie- AoEn, etc.) et de réseaux de politiques publiques, ainsi qu’au lancement de certains labels et appels à projets (Cit’Energie, AACT-AIR PUMIQAT de l’ADEME, etc.). Depuis le Grenelle de l’environnement, on observe une tendance à la territorialisation de la politique environnementale en général et de la politique climatique en particulier (Lascoumes et al., 2014). Cela se traduit par des transferts de compétences mais aussi par des textes nationaux (lois, stratégies, plans…) qui prévoient des déclinaisons sur le territoire, sur le mode de l’obligation ou de l’incitation. Cela passe par plusieurs types de documents, notamment les Schémas ou les Plans, qui visent à intégrer la question climatique dans la fabrique des politiques territoriales. Force est de constater que l’innovation la plus importante en matière de climat a été apportée par les lois Grenelle 1 et 2 qui ont rendu obligatoire l’élaboration des Plans Climat-Énergie Territoriaux (PCET, première génération) et des Schémas régionaux climat-air-énergie (SRCAE) qui restent alors co-pilotés par la Région et le préfet.

Avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV), les politiques climatiques sont désormais développées au sein des Plans Climat-Air-Énergie Territoriaux (PCAET, deuxième génération), permettant de cette manière la généralisation de la prise en charge « du problème climat » et du volet adaptation au niveau de l’action locale. Par ailleurs, la loi NOTRe a chargé les Régions d’élaborer un Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET), qui remplace l’ancien Schéma Régional d’Aménagement et de Développement Durable du Territoire (SRADDT). Il s’agit d’un document stratégique de planification, désormais prescriptif, qui détermine les grandes priorités régionales en matière d’aménagement du territoire à moyen et long termes et qui intègre le SRCAE, qui n’est donc plus copiloté par l’État. Le rôle de la Région en matière climatique s’en trouve renforcé par ricochet (Evrard et Pasquier, 2018).

Ajoutons également que la loi MAPTAM (2014) a érigé la région au rang de « chef de file » pour l’exercice des compétences relatives au climat, à la qualité de l’air et à l’énergie. Les récentes réformes ou lois cherchent ainsi à clarifier le partage des compétences en matière climatique, sans y parvenir totalement. En particulier, si le rôle de chef de file de la Région est clairement affirmé, les compétences des EPCI – au premier rang desquels les Métropoles – sont également renforcées en matière climatique, via la loi MAPTAM (contribution à la transition énergétique) et la loi de 2015 sur la transition énergétique pour la croissance verte par exemple.

Enfin, différentes politiques nationales enjoignent les collectivités de prendre en compte le réchauffement climatique dans leur domaine. A titre d’exemple, la Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte (SNGITC) de 2012 incite les collectivités territoriales à mettre en place des stratégies d’adaptation au recul du trait de côte dans un contexte d’élévation du niveau de la mer lié au changement climatique.

De manière générale, ces textes nationaux se présentent comme des injonctions à l’action climatique pour les collectivités sans que la répartition des compétences et les moyens soient toujours clairement définis.

1 La loi POPE de 2005 renforce les compétences des conseils régionaux en matière de maîtrise de l’énergie et leur donne, à travers les ressources de l’ADEME et des contrats de plan État-Région, les moyens de mettre en oeuvre des actions plus ambitieuses.

1.2. Vers une territorialisation de la politique climatique nationale en Occitanie

Simultanément, les collectivités territoriales françaises se sont largement emparées du problème climat et ce, de manière proactive plus que réactive, oeuvrant à la fois à l’échelle locale comme collaborant à l’échelle transnationale (Bertrand et Rocher, 2013). Les villes notamment sont devenues des acteurs importants de l’action climatique tant elles concentrent les compétences comme les ressources administratives ou financières sur cet enjeu qui les bouscule et les transforme en retour (Béal et al., 2011). La tendance à la métropolisation de l’action publique, à travers l’an III de la décentralisation (loi MAPTAM de 2014), leur donne, comme on l’a évoqué, d’autant plus d’importance dans la prise en compte du problème climat.

À Toulouse, devenue communauté urbaine en 2008 puis Métropole en 2015, une véritable action climatique s’est ainsi mise en place dans les années 2000-2010, d’abord à travers une démarche d’Agenda 21 en 2003, puis à travers un premier PCET en 2011, un PCAET en 2015 ainsi que de nombreuses initiatives et projets urbains liés à la question climatique, notamment le développement des écoquartiers (Parvu, 2020). De son côté, la Métropole de Montpellier a élaboré un premier Plan Climat plus tardivement, en 2014, dans la suite de son Agenda 21 lancé en 2008, transformé en PCAET en 2019. Toutefois, les travaux universitaires sur le sujet montpelliérain font défaut. Les recherches, notamment financées dans le cadre de thèses CIFRE par la Métropole ont moins porté sur les questions climatiques que sur d’autres enjeux de développement durable qui ont fait l’objet d’un fort investissement de la part de la collectivité comme l’agroécologie et l’alimentation durable (Hasnaoui, 2018) ou les problématiques de biodiversité en lien avec la séquence Éviter-réduire-compenser (Bigard, 2018).

De même, la consécration de la Région comme chef de file en matière climatique fait écho à l’investissement développé par les Régions en la matière afin d’affirmer un peu plus le « pouvoir régional » (Pasquier, 2012). Sous ce prisme, on observe en leur sein une reconfiguration des jeux d’acteurs et une inflexion notable en matière de planification et d’environnement (Bertrand et Richard, 2013). Devenues avec les lois MAPTAM et LTECV (2015) « cheffes de file » dans de nombreux champs de l’action climatique et énergétique, elles détiennent en effet de nombreux atouts dans ce domaine : elles coordonnent les autres collectivités territoriales et les intègrent dans une perspective commune et cohérente en matière climatique (le SRADDET est ainsi opposable, c’est-à-dire qu’il doit être repris par les autres collectivités territoriales dans leurs exercices de planification) ; elles redistribuent les financements issus de l’Union européenne (fonds structurels) ou de l’Etat (contrats de plan Etat-Région) ; et elles peuvent servir d’exemple à suivre en matière de sobriété énergétique, d’allocations budgétaires ou de gestion de leurs compétences spécifiques (comme les lycées).

De ce point de vue, la Région Occitanie s’est avérée très proactive en matière de politique climatique. Elle bénéficie pour cela d’une certaine tradition d’action en matière environnementale, notamment de la part de l’ancienne région Midi-Pyrénées qui en a fait une des régions les plus exemplaires en matière de développement durable, avec une agence dédiée (l’ARPE) et des expérimentations menées sur de petits espaces (villes, pays, sites d’exception, vallées, etc.) car privilégiées à une conception plus générique et régionalisée du développement durable (Bertrand, 2009)2. Cette politique climatique occitane a pris corps dans les années 2010-2020 à travers de nombreux dispositifs imposés ou incités par la législation nationale et bien souvent dépassés par l’activisme de l’institution. De la sorte, le prisme climatique colore alors de plus en plus d’enjeux sectoriels.

En 2016, par exemple, l’objectif de la démarche H2O 2030, destinée à alimenter le volet eau du SRADDET alors en cours de constitution, était d’aboutir en 2018 à une stratégie régionale de gestion de l’eau durable et solidaire. Dans la même période, la Région Occitanie a rapidement affiché l’ambition de devenir la première Région européenne à énergie positive (REPOS). Ce projet constitue le volet énergie de son SRADDET et repose en particulier sur le développement d’une filière industrielle de l’éolien en mer, initié en Languedoc-Roussillon. La Région s’est alors saisie d’un appel à projet de l’État (ADEME, 2015) pour accompagner deux fermes pilotes au large de Gruissan et Port-la-Nouvelle, puis justifier l’extension du port industriel de Port-la-Nouvelle pour accueillir une plateforme de montage d’éoliennes et enfin développer sur ce site un maillon de la filière hydrogène vert émergente (Plan Hydrogène Vert) (Barone et Michel, 2021). Si le volontarisme énergétique régional est largement affiché, la poursuite de la politique de l’éolien offshore reste cependant largement conditionnée aux engagements de l’État, revus à la baisse dans le cadre de la dernière programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 2019). La Région a certes montré une capacité à renégocier les objectifs en sa faveur, en mobilisant les acteurs locaux et en s’alliant aux autres régions productrices d’éolien offshore3 mais la gouvernance énergétique régionale reste en ce domaine partielle. Son autonomie est toutefois plus large dans d’autres domaines.

En novembre 2019, un « Green New Deal » est engagé par l’institution régionale occitane à la suite d’une démarche de co-construction avec une Convention citoyenne et d’une votation ayant mobilisé 20 644 personnes autour de 10 priorités thématiques dont de nombreuses renvoient à la question climatique (les transports, le modèle agricole et l’alimentation, ou bien le tourisme durable). Le budget participatif citoyen « Ma solution pour le climat », lancé en septembre 2019 et doté d’une enveloppe de 2 M€, a financé des initiatives qui contribuent à la lutte contre le réchauffement climatique (42 lauréats ont été ainsi sélectionnés pour la première édition, avec par exemple des projets de forêt urbaine, des actions de sensibilisation en direction des jeunes ou bien des applications de promotion du vélo pour smartphones).

Dernièrement, le projet de SRADDET de la Région Occitanie a été arrêté le 19 décembre 2019 et incarne le projet d’aménagement du territoire porté par la Région à l’horizon 2040. La réponse à l’urgence climatique compose ainsi un des deux « caps stratégiques pour le devenir du territoire ». Par ailleurs, le Plan régional d’adaptation au changement climatique voté en décembre 2020 et doté de 200 M€ sur 7 ans fusionne des dispositifs plus sectoriels existants comme la stratégie Région à Énergie Positive, les Plans Littoral 21 et H2o30, le Plan pour l’économie circulaire, le Pacte Alimentation durable ainsi que le budget participatif « Ma solution pour le climat ». Cette fusion témoigne de la volonté d’intégration sous l’angle climatique d’actions régionales existantes.

2 Dans l’ex-Région Languedoc-Roussillon, une Agence méditerranéenne de l’environnement (AME) a précocement été créée en 1992, à la suite d’un accord électoral entre Jacques Blanc et trois élus Verts dont le soutien lui était nécessaire pour être élu président. L’Agence a mené une politique active jusqu’à sa dissolution en 2004 par le nouveau Président de Région Georges Frêche (Michel, 2012).

3 « Appel de Narbonne » du 15 novembre 2018 (400 signataires : acteurs publics, entreprises…) ; contre proposition à la PPE portée par une alliance des régions Bretagne, Occitanie, PACA et Pays de la Loire.

1.3. La climatisation des politiques sectorielles sur le territoire Occitanie

On voit à la lecture des différents chapitres de ce CROCC_2021, que de très nombreux secteurs intègrent les effets et les enjeux du changement climatique : eau, tourisme, littoral, mobilité, biodiversité, etc. On parlera donc d’une climatisation de ces politiques sectorielles, dans la mesure où de nombreux acteurs se sont « raccrochés à cette question en formulant leurs centres d’intérêts en termes climatiques » (Foyer, 2016). La climatisation renvoie ainsi à une dynamique qui vient souvent redéfinir des politiques existantes au nom du changement climatique, tout en les faisant évoluer plus ou moins : qu’il s’agisse de repenser le modèle touristique de la montagne et du littoral, de repenser les politiques de mobilité (vélo, trains, etc.), l’enjeu climatique impacte fortement ces différents domaines d’action.

Si on prend l’exemple littoral, l’ancienne Région Languedoc- Roussillon a été pionnière dans la gouvernance des risques d’érosion et de submersion marine. La Mission interministérielle à l’aménagement du littoral (MIAL) installée en 2000 a posé de nouveaux principes remettant en question le paradigme de la lutte contre la mer au profit d’une gestion douce et de la relocalisation des activités menacées (MIAL, 2003). Elle a structuré une communauté régionale experte – EID, BRGM, Universités de Montpellier et Perpignan…- qui a développé études et opérations durant une dizaine d’années en ce sens dans le cadre des contrats de projet État Région (CPER). La politisation de l’élévation du niveau de la mer liée au changement climatique, objectivée sur le territoire régional par les travaux de cette communauté experte, a donné une nouvelle visibilité aux enjeux littoraux et conforté leur statut de problème public nécessitant une politique d’anticipation. Elle a accompagné la requalification du problème de l’érosion comme risque « anticipable » dont la solution doit passer par la recomposition spatiale des territoires littoraux, doctrine entérinée par la publication de la Stratégie régionale de gestion intégrée du trait de côte (SRGITC) de la Région Occitanie publié en 2018 par l’État (Barone et Michel, 2021).