Adapter l’agriculture au changement climatique : instruments et mise en oeuvre

Marie HRABANSKI (CIRAD – ArtDev)

L’intégration des enjeux d’adaptation de l’agriculture dans la gouvernance globale du climat dans les années 2000 (Hrabanski, 2020) a induit des changements dans les espaces politiques nationaux et dans les territoires. Toutefois, l’inflation des documents de politiques publiques, des projets et programmes en faveur de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique et sa mise en politique ne signifient pas forcément que ces intentions se soient concrètement traduites dans des instruments de politiques publiques.

A partir d’une analyse qualitative (entretiens, analyses des archives et de la littérature grise), le projet TYPOCLIM analyse et compare l’évolution des instruments politiques d’adaptation de l’agriculture au changement climatique dans 8 territoires, au Nord (France-Occitanie, France-Guadeloupe, Espagne-Andalousie, Etats-Unis-Californie) et au Sud (Sénégal-Niayes, Afrique du Sud-Western Cape, Colombie, Brésil-Nordeste).

En s’appuyant sur la typologie classique de Bemelmans- Videc et al. (2011), on peut classer les instruments d’action publique de la façon suivante : les instruments réglementaires, qui sont contraignants et obligatoires (restriction ou interdiction des prélèvements en eau, seuil de pollution…), les instruments incitatifs, qui visent à modifier essentiellement des pratiques via des incitations financières (subventions, mesures agro-environnementales et climatiques…) et les instruments communicationnels (observatoire du changement climatique, services de prévisions météorologiques, Groupement d’intérêt économique et environnemental) dont l’objectif est de faire évoluer les cadrages cognitifs des acteurs de façon à ce que ceux-ci intègrent davantage les enjeux du changement climatique dans leurs pratiques.

En Occitanie, la gouvernance de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique est d’abord marquée par une diversité d’instruments, portés par des acteurs hétérogènes et multiniveaux (Région, Départements, Etat, UE, organisations professionnelles, ONG…). Plus de la moitié des instruments d’adaptation de l’agriculture au changement climatique recensés en Occitanie sont de type incitatif. Les instruments communicationnels sont également privilégiés. On remarque donc une préférence marquée pour les instruments non contraignants.

L’enquête souligne également un recyclage instrumental important. En effet, de nombreux instruments existant de longue date ont intégré les enjeux climatiques dans leur justification et leurs objectifs ou même dans l’appellation même de l’instrument sans pour autant que la dimension climatique transforme véritablement les conditions d’éligibilité de l’instrument. Par exemple, les mesures agro-environnementales ont été introduites dans le cadre de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) de 1992 puis sont devenues des mesures agro-environnementales territorialisées (programmation 2007-2013) et se nomment désormais, dans le cadre de la PAC 2015-2020 des mesures agro-environnementales et climatiques, sans pour autant que cette mesure n’ait véritablement évolué.

Parallèlement à ce processus de recyclage, on identifie des formes d’innovation instrumentale. Ces nouveaux instruments d’adaptation de l’agriculture au changement climatique sont principalement de type communicationnel. Moins couteux que les instruments incitatifs, ces instruments visent à capitaliser des informations utiles à l’adaptation de l’agriculture au changement climatique et à coordonner des stratégies d’adaptation. Enfin, aucun instrument règlementaire explicitement tourné vers l’adaptation n’a été recensé, mais seulement certaines restrictions qui concernent les prélèvements et les usages de l’eau.

Si la gouvernance de l’adaptation de l’agriculture au changement climatique en Occitanie repose essentiellement sur des instruments non-contraignants, les enquêtes menées dans le cadre du projet TYPOCLIM et plus largement les études menées à l’international soulignent la pertinence des combinaisons d’instruments (policy-mix) (Pacheco-vega, 2020), c’est-à-dire l’association d’instruments qui soient à la fois règlementaires, incitatifs et communicationnels.

Enfin, l’enquête montre également (dans les pays du Sud comme dans les pays du Nord, le cas échéant en Occitanie) un recours majeur au mode de gouvernement par projet pour adapter l’agriculture au changement climatique (Barone et al., 2018). Ce gouvernement par projet impose ainsi des conditions d’éligibilité et un travail bureaucratique important afin que les porteurs de projet puissent bénéficier des financements proposés dans le cadre d’appels à projets compétitifs. La précarité des projets, c’est-à-dire leur court-termisme, caractérisé par leur inadéquation avec le temps long, pourtant nécessaire à l’adaptation de l’agriculture au changement climatique et à l’action collective constitue une limite de ce mode de gouvernement. La fragilité des projets, c’est à- dire leur sensibilité aux chocs internes ou externes figure également comme une des limites fortes du gouvernement par projet, de même que la prolifération des projets d’adaptation qui peut gêner, voire déstructurer la cohérence des politiques publiques d’adaptation de l’agriculture au changement climatique.