L’adaptation aux changements climatiques : éléments de cadrage

La notion d’adaptation a été définie dans le 2e rapport du GIEC (1995) comme l’ensemble des actions qui devraient agir sur les conséquences des changements climatiques, par opposition à ou en complément de l’atténuation, qui doit agir sur leurs causes, instaurant dès lors une dichotomie « atténuation – adaptation ». Cette présentation terminologique reflète le contexte de l’époque considérant les changements climatiques comme un problème avant tout technique. Ainsi, dans la lignée des succès diplomatiques sur la réduction des substances qui altèrent la couche d’ozone (Protocole de Montréal adopté en 1985) et celle sur les émissions transfrontières d’oxydes d’azote (Protocole de Sofia, adopté en 1988), le raisonnement fut posé en ces termes : « il suffit de réduire les émissions de GES » pour résoudre une problématique climatique encore faiblement comprise et acceptée à l’époque. S’en suivent le Protocole de Kyoto (adopté en 1997) puis l’Accord de Paris (adopté en 2015), avec toutes les limites qu’on leur connait en termes d’efficacité sur la réduction des émissions de GES.

Très vite, la mise en pratique à l’échelle locale de cette dichotomie « atténuation – adaptation » s’interpréta de multiples manières au point que sa mise en oeuvre reste floue : est-ce que « développer la végétalisation urbaine » ou « lutter contre la précarité énergétique » sont des actions d’adaptation, comme le mettent en avant certaines collectivités ou bien, comme le proposent d’autres collectivités, ce sont des actions qui rentrent dans un volet économique, social, énergétique, de santé, de protection de la biodiversité ou encore d’autonomie alimentaire ? (Simonet et Leseur, 2019).

Ainsi, la phase d’opérationnalisation de l’adaptation aux changements climatiques se heurte à un triple décalage entre :

  • l’évolution du cadre théorique scientifique, qui estime souvent que l’adaptation s’anticipe et se prépare (voir encadré 0.A) ;
  • les injonctions et les discours prescriptifs des pouvoirs publiques, lesquels ont massivement recours au concept de résilience pour donner corps à l’adaptation au détriment parfois d’une adaptation plus sociétale fondée sur les principes de solidarité et d’éthique (Quenault, 2013) ;
  • les réalités de terrain qui peuvent amener les acteurs territoriaux à concrétiser l’adaptation par des actions aussi bien techniques, que touchant à l’aménagement ou à des programmes de sensibilisation afin de les faire converger avec des enjeux prioritaires locaux (Simonet, 2015a).

Dès lors, force est de constater qu’une action peut relever de l’adaptation selon les enjeux, l’interprétation et les intérêts propres à chaque acteur, révélant l’existence d’une pluralité d’« adaptations silencieuses », qui, bien que non intitulées comme actions d’adaptation en tant que telles, participent pourtant à faire face aux enjeux climatiques de manière directe ou indirecte (Simonet, 2017).

Renouveler les bases de la réflexion sur l’adaptation

Ainsi donc, alors que l’adaptation aux changements climatiques est encore largement définie selon le schéma dichotomique de 1995 et que les contextes socioéconomiques, environnementaux et scientifiques ont évolué, plusieurs points peuvent être gardés en tête :

  • considérer les changements climatiques comme une problématique avant tout sociétale : les émissions humaines des GES responsables de ces changements étant la conséquence directe des choix de société, cela nécessite une transformation du récit sociétal présenté depuis plusieurs décennies ;
  • garder à l’esprit que les changements climatiques s’inscrivent dans une problématique de changements globaux et sont le reflet, à l’échelle du climat, du défi posé par la trajectoire socioéconomique basée sur les ressources fossiles. Aucune action climatique mise en place, que ce soit pour réduire les GES ou se protéger des impacts, n’a de sens si elle aggrave d’autres problématiques tout aussi vitales pour notre civilisation (biodiversité, santé, surexploitation des ressources) ;
  • accepter que nous vivons un moment de l’histoire de l’humanité et de la planète qui n’a jamais été expérimenté auparavant, afin d’ouvrir des options de trajectoires qui puissent passer par des expérimentations de toutes sortes, comme le résume l’Institut international pour le développement durable (IISD) : « l’absence de cadrages conceptuels solides de l’adaptation est une opportunité pour que les acteurs locaux puissent expérimenter et apprendre sur ce qui a le plus de sens dans leur propre contexte spécifique ».

Au niveau des réponses à apporter face aux changements climatiques, plusieurs points pourraient aider à mieux cerner ce que le défi de l’adaptation représente en termes opérationnels :

  • le fait que l’adaptation aux changements climatiques constitue une démarche sociale dynamique qui dépend de notre capacité d’agir collectivement, en partant de l’échelle locale, en vue d’élaborer de nouveaux récits qui prennent en compte les contextes de chacun ;
  • développer l’intercognitivité, c’est-à-dire, la compréhension mutuelle des enjeux, des intérêts et des réalités de chacune des parties prenantes du territoire ou des activités considérés (UrbaLyon, 2011). Ceci permet non seulement d’éviter de raisonner en silos mais également de mieux cerner le sens des actions de chacun, à partir notamment du décloisonnement des savoirs de toutes sortes (académiques, expertises, expérientiels, intuitifs). En ce sens, l’intercognitivité se distingue et complète l’interdisciplinarité par le fait que les actions mises en oeuvre par les parties prenantes d’un territoire ou d’une entreprise ne peuvent pas être comprises uniquement à travers un filtre disciplinaire théorique, mais également par une compréhension des logiques propres (savoirs, perceptions, langages) à leurs contextes personnels, culturels ou corporatifs qu’elles mobilisent en amont de leurs actions ;
  • engager une démarche d’adaptation, c’est d’abord poser un cadre d’analyse opportun qui interroge la viabilité du système considéré (territoire, activités, organisations), non seulement au regard des enjeux climatiques mais également à la lumière des autres problématiques locales. Cette approche décloisonnée est également une opportunité pour repenser nos liens avec le monde vivant non humain et pour contextualiser les actions possibles afin de rejoindre les intérêts et les logiques d’actions des différentes parties prenantes concernées ;
  • consolider l’idée dans le domaine de la recherche que l’adaptation aux changements climatiques puisse être un carrefour interdisciplinaire, d’où peut émerger une cohésion scientifique qui favorise les dialogues et les décloisonnements entre expertises (Patt, 2013).

Encadré 0.A. L’évolution des définitions de l’adaptation dans les rapports du GIEC

Les réflexions scientifiques sur l’adaptation ont évolué depuis le 2e rapport du GIEC de 1995, notamment grâce aux retours d’expériences de terrain et à l’entrée en scène des sciences humaines et sociales. De ce fait, les défintions de l’adaptation ont elles aussi évolué, comme en témoigne le glossaire du tome 2 du rapport du GIEC de 2014 qui présente une douzaine de définitions qui contiennent le terme « adaptation », deux définitions pour le terme « atténuation » et plusieurs définitions pour la « gestion des catastrophes », la « gestion des risques » et la « gestion des risques de catastrophe ». Parmi les nouvelles définitions, deux attirent l’attention : l’adaptation- incrémentale (qualifiées de « mesures ayant pour objectif principal le maintien de la nature et de l’intégrité d’un système ou d’un processus à une échelle donnée ») et l’adaptation-transformationnelle (décrites comme des mesures qui « changent les éléments fondamentaux d’un système en réponse au climat et à ses effets »). Chacune de ces formes d’adaptation a ses caractéristiques et se complètent l’une et l’autre. Toutefois, si l’adaptation- incrémentale focalise plutôt sur des réponses immédiates et à la marge dans le but prioritaire de protéger, l’adaptation-transformationnelle vise davantage une transformation notable, voire profonde, des territoires ou activités. Les deux réponses ont donc des manières d’opérer différentes : réponses au coup par coup (par exemple par l’intermédiaire de l’expertise) pour l’une, processus social et décloisonnement pour la seconde. Malgré cette apparence duale incrémentale – transformationnelle, cette terminologie permet de présenter l’adaptation comme un schéma d’évolution graduelle fait de nuances qui intègre tout aussi bien l’idée de se protéger que de se réorganiser pour faire face aux multiples défis aussi bien climatiques, énergétiques que globaux (Simonet, 2015b).

Climat régional

Biodiversité

Eau

Santé

Milieux Urbanisés

Milieux littoraux

Milieux Montagnards

Agrosystèmes

Tourisme

Mobilité et énergie

Gouvernance

Enjeux Psychosociologiques