La fonctionnalité écologique de la biodiversité

Bertrand SCHATZ (CNRS – CEFE)

Les écosystèmes procurent de nombreux services appelés services écosystémiques. Certains sont vitaux pour de nombreuses espèces ou groupes d’espèces et sont généralement classés comme des biens communs. Dans ce contexte, la pollinisation est par exemple considérée comme un service de régulation à côté du climat, de la qualité de l’air par exemple. L’avantage de ce concept a été d’identifier les services rendus par la nature à l’homme ; son inconvénient est une vision très anthropocentrée de la nature qui ne considère que ce qui est utile pour l’homme. Dans cette approche, la pollinisation a été parfois cartographiée sur la base d’une valeur de pollinisation pour chaque habitat ; elle a aussi été évaluée financièrement (entre 2,3 et 5,3 milliards d’euros liés la pollinisation en 2010 pour la France sur la base des productions agricoles associées) (Beyou et al., 2016). Cependant, si la pollinisation des plantes cultivées permet une évaluation financière, une telle évaluation en milieu naturel reste impossible au vu de la diversité des espèces et de la difficulté à quantifier le taux de pollinisation des différentes plantes. Le niveau de pollinisation peut être approximé en ne considérant que certaines plantes et l’abondance et la diversité des pollinisateurs ne peuvent être évaluées uniquement que par des échantillonnages locaux identifiés par des experts taxonomistes.

Une nouvelle conception a émergé, suites aux travaux de l’IPBES (IPBES 2016, 2018), qui considère plutôt des Solutions d’adaptation fondées sur la nature (SafN) (voir focus sur les solutions fondées sur la nature). Il s’agit non plus d’« utiliser la nature » mais plutôt de « faire avec » vers des objectifs orientés vers une transition écologique pour un monde plus durable. Pour l’exemple de la pollinisation, elle est ici considérée comme un bien naturel fournissant : 1) une alimentation humaine contribuant à la santé humaine (vitamines, éléments minéraux, etc.), 2) une régulation et une contribution au fonctionnement des écosystèmes dont le maintien des plantes sauvages et des paysages associés et 3) une grande diversité d’aspects culturels allant des pratiques apicoles plus ou moins liées à la domestication, des savoirs naturalistes et scientifiques, une éducation à l’environnement, des loisirs, un cadre de vie et des aspects esthétiques paysagers.

Une autre conception plus scientifique considère le fonctionnement des écosystèmes, où la pollinisation assure la conservation des différentes plantes sauvages, mais contribue aussi aux chaines trophiques notamment l’alimentation des nombreuses espèces insectivores et l’existence de plusieurs espèces parasites. Cette approche considère la pollinisation au sein d’autres fonctions écologiques comme la séquestration du carbone, les réseaux d’interaction entre espèces, le cycle de l’eau… Ce raisonnement aboutit au concept des trames vertes (trame de milieux naturels des forêts aux milieux ouverts, figure 2.3) et bleues (trame liée à l’eau, des rivières aux étendues d’eau), mais aussi turquoise (interface entre les deux précédents), noire (milieux sans éclairage nocturne permettant une continuité écologique pour les espèces nocturnes), brune (trame de continuité des sols), etc. Cette approche permet de considérer et de conserver les zones de présence de la biodiversité (les réservoirs) ainsi que les zones de déplacement de la biodiversité (les corridors). Ainsi une haie bocagère est considérée comme une connexion écologique entre deux zones forestières ou deux prairies naturelles. Cette conception peut être envisagée à une échelle globale, via par exemple le Schéma Régional de Cohérence Ecologique (SRCE) mais aussi à l’échelle plus locale comme dans les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU), des communes ou des communautés de communes. Ce SRCE sera aussi une des composantes importantes du futur Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Égalité des Territoires (SRADDET) d’Occitanie. Dans ces différentes approches, la fonction écologique de pollinisation est particulièrement bien identifiée et reconnue favorisant sa conservation.

Que l’approche soit par services écosystémiques, par SafN ou par fonctions écologiques, ce sont des composantes de la biodiversité également sensibles aux impacts des changements climatiques, à des échelles plus larges de la dynamique écologique des habitats naturels. Les risques correspondent par exemple ici à des perturbations dans la rétention ou la filtration de l’eau par le drainage ou la destruction de zones humides, des incendies forestiers qui annulent la séquestration du carbone sur le long terme, ou à des ruptures de trames écologiques par destruction de haies, de lisières ou par construction d’obstacles dans les cours d’eau. Cette fonctionnalité écologique est aussi menacée par les changements climatiques via les réponses des espèces comme le décalage phénologique entre émergence d’insectes et de floraison causant des ruptures d’interactions de pollinisation, les changements de distribution des espèces qui modifient les trames et les zones réservoirs de biodiversité, ou l’émergence de facteurs limitant qui bloquent les chaines trophiques et causent aussi des changements de distribution.

Figure 2.3. Carte du Schéma de Régional de Cohérence Ecologique (SRCE) qui distingue les zones réservoirs de biodiversité et les corridors entre ces réservoirs.
(Source : cartothèque de la démarche H2O 2030, en ligne.)